Les négociations de Doha entre la RDC et le AFC/M23 ne doivent pas promouvoir l'impunité sur les exactions commises par le M23 et les troupes rwandaises en RDC
Depuis plus de deux décennies, l'est de la République Démocratique du Congo (RDC) est secoué par des cycles de violence récurrents alimentés par des groupes armés locaux et étrangers, dont l'un des plus déstabilisateurs est le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu militairement, politiquement et logistiquement par le Rwanda selon les Nations Unies. Les récents pourparlers de Doha, initiés sous l'impulsion de partenaires internationaux soucieux de « stabiliser » la région, prétendent ouvrir un espace de discussion entre le gouvernement congolais et la plateforme AFC/M23. Cependant, ces négociations posent une question fondamentale : peuvent-elles réellement contribuer à la paix si elles contournent la responsabilité des auteurs de crimes graves ?
La réponse est non. Et ce non est crucial. Toute démarche diplomatique qui légitime, normalise ou récompense des acteurs ayant commis des violations massives des droits humains court le risque de cimenter l'impunité, d'encourager la répétition des violences et de fragiliser davantage la souveraineté et la cohésion nationale de la RDC. Les négociations de Doha ne doivent en aucun cas devenir un mécanisme permettant au M23 et à ses parrains rwandais d'échapper à la justice pour les crimes commis contre les civils congolais.
1. Le contexte des négociations : un rapport de force imposé par la violence
Les discussions de Doha se déroulent dans un contexte où le M23 contrôle de vastes territoires du Nord-Kivu, y installe une administration parallèle et expulse des milliers de familles de leurs villages. Cette position de force n'est pas le fruit d'un processus politique légitime mais le résultat d'une campagne militaire agressive menée avec l'appui direct des Forces de Défense Rwandaises (RDF). Les rapports du Groupe d'Experts de l'ONU ont documenté la présence d'unités rwandaises en RDC, leur implication dans des combats contre les FARDC, leur rôle dans la formation, le commandement et l'armement du M23, ainsi que les opérations conjointes visant à s'emparer de zones stratégiques riches en minerais.
Ainsi, les négociations de Doha sont biaisées dès leur lancement : elles ne résultent pas d'un dialogue volontaire et équilibré mais d'une pression imposée par la force. Elles risquent d'être perçues comme une capitulation diplomatique face à une agression armée si elles ne prennent pas clairement en compte la question de la justice et de la responsabilité.
2. L'impunité comme moteur du conflit dans l'est de la RDC
L'histoire récente de la RDC montre que l'impunité est l'un des moteurs essentiels de la perpétuation des conflits. Depuis les années 1990, de nombreux groupes armés ont été intégrés dans l'armée nationale ou « réinsérés » dans la vie politique sans que leurs dirigeants ne répondent de leurs crimes. Le M23 lui-même est né des frustrations de certains ex-rebelles intégrés dans les FARDC après l'accord du 23 mars 2009, un accord qui avait précisément ignoré la nécessité de justice et avait transformé des auteurs de crimes en acteurs d'État.
Ce précédent est révélateur : lorsque la communauté internationale et les autorités congolaises privilégient des compromis politiques à court terme au détriment des mécanismes de justice, elles alimentent la résurgence des violences. Les leaders rebelles comprennent que prendre les armes est un moyen de pression efficace pour obtenir des avantages politiques, militaires ou économiques.
Les négociations de Doha ne doivent pas répéter cette erreur historique.
3. Les crimes commis par le M23 et les forces rwandaises : une réalité documentée
Plusieurs organisations internationales, ONG et missions onusiennes ont documenté des exactions graves commises par le M23 et les troupes rwandaises en RDC :
-
Massacres ciblés de civils, notamment à Kishishe en 2022, où plus de 130 personnes ont été tuées selon l'ONU.
-
Violences sexuelles systématiques, utilisées comme arme de terreur pour vider des villages entiers.
-
Recrutement forcé d'enfants soldats, parfois emmenés au Rwanda pour y recevoir un entraînement militaire.
-
Pillages massifs, notamment des minerais stratégiques acheminés ensuite vers le Rwanda.
-
Destructions de biens civils, incendies de maisons, hôpitaux et écoles.
-
Exécutions sommaires, tortures et disparitions forcées.
-
Déplacements forcés de populations, avec plus de 3 millions de déplacés internes rien qu'au Nord-Kivu.
Ces crimes ne relèvent pas d'incidents isolés mais d'une stratégie de domination et de mise sous contrôle de territoires congolais. Fermer les yeux sur ces réalités, ou proposer une amnistie déguisée, reviendrait à normaliser l'horreur.
4. Les risques d'une amnistie implicite à Doha
Les signaux envoyés par certains médiateurs internationaux laissent craindre que les négociations de Doha visent à obtenir rapidement un « accord politique » sans aborder la question centrale de la responsabilité. Les risques sont multiples :
a) Légaliser le contrôle territorial du M23
En acceptant de discuter pendant que le groupe occupe des zones importantes, Doha pourrait être perçu comme une forme de reconnaissance de fait du pouvoir rebelle.
b) Ouvrir la voie à des revendications territoriales
Le Rwanda, via le M23, pourrait obtenir des concessions politiques ou administratives dans l'est de la RDC, renforçant les risques de balkanisation.
c) Permettre aux chefs rebelles de conserver leur influence
Si aucun mécanisme de justice n'est exigé, les commandants du M23 responsables de crimes graves pourraient continuer à jouer un rôle politique ou militaire.
d) Encourager d'autres groupes armés
Les ADF, les FDLR ou les milices locales pourraient percevoir l'accord comme une preuve qu'il suffit de prendre les armes pour être récompensé.
5. La justice comme condition non négociable
Pour que les négociations de Doha contribuent à une paix véritable, la RDC et ses partenaires doivent exiger des principes stricts :
1. Aucune amnistie pour les crimes graves
Les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et violations graves des droits humains ne peuvent être amnistiés selon le droit international.
2. Poursuites judiciaires nationales et internationales
Les dirigeants du M23 et les officiers rwandais impliqués doivent répondre devant la justice. La Cour Pénale Internationale (CPI) et la justice congolaise doivent être activement sollicitées.
3. Enquêtes indépendantes
Une commission internationale indépendante doit être mise en place pour enquêter sur les crimes commis dans les zones occupées.
4. Réparations pour les victimes
Un mécanisme de réparation, d'indemnisation et de soutien psychologique doit être instauré pour les millions de victimes.
5. Démantèlement militaire du M23
La démobilisation, le désarmement et la dissolution du M23 sont indispensables avant toute discussion politique.
6. La responsabilité du Rwanda dans les négociations
Les États-Unis, le Qatar et d'autres partenaires ne peuvent continuer à ignorer la responsabilité du Rwanda. Faire comme si Kigali n'était pas une partie prenante du conflit est une fiction diplomatique dangereuse.
Le Rwanda doit :
-
reconnaître son implication,
-
se retirer complètement du territoire congolais,
-
cesser son soutien militaire au M23,
-
accepter des mécanismes d'enquête internationale.
Sans cela, toute négociation restera instable et inefficace.
Conclusion : Doha ne doit pas devenir un marché de l'impunité
Les négociations sont nécessaires, mais elles ne doivent pas sacrifier la justice au nom d'une paix illusoire. La RDC ne peut accepter un accord qui récompense la violence, légitime l'occupation et permet à des auteurs de crimes atroces d'échapper à leurs responsabilités. Une paix durable se construit sur la vérité, la justice et la reconnaissance des victimes, non sur des compromis politiques imposés par la force.
Doha ne doit pas devenir le lieu où l'impunité triomphe. Elle doit devenir le lieu où la vérité commence à être reconnue et où la justice devient enfin une priorité incontournable.
No comments:
Post a Comment