Pages

Monday, 10 November 2025

Le pot-de-vin pour Kagame suffira-t-il à l’arrêter d’agresser la RDC ?

Depuis trois décennies, la République Démocratique du Congo (RDC) vit au rythme des crises déclenchées ou instrumentalisées par le régime de Kigali. Derrière les trêves fragiles et les formats de médiation qui se succèdent – de Washington à Doha – une constante s’impose : le Rwanda conserve des leviers de déstabilisation à l’Est du Congo, notamment via le soutien militaire, logistique et politique au M23. La dernière trouvaille diplomatique, présentée comme un moteur d’“intégration économique” sous égide américaine, s’apparente moins à un plan de paix qu’à un pot-de-vin diplomatique destiné à acheter un apaisement provisoire. D’où la question centrale : récompenser l’agresseur suffit-il à arrêter l’agression ou ne fait-on, au contraire, que financer sa persistance sous d’autres formes ?

1) Des Accords nés d’une demande congolaise… détournée en dispositif tripartite

À l’origine, Kinshasa a agi en État souverain : proposer aux États-Unis un partenariat bilatéral clair – appui sécuritaire, technologique et réformateur contre un accès régulé aux minerais critiques (cobalt, coltan, lithium) indispensables à la transition énergétique mondiale. Cette offre posait un cadre lisible : sécurité contre transparence, investissements contre réformes, dans le respect de la souveraineté congolaise.

Le virage américain a surpris : inclusion du Rwanda dans le schéma, au nom d’une “intégration régionale” censée favoriser la stabilité. Mais comment intégrer un agresseur alors que des troupes rwandaises et des supplétifs demeurent impliqués dans l’occupation de territoires congolais ? En refusant de signer tout texte tant que ces réalités perdurent, la RDC n’a pas fait de l’obstruction : elle a réaffirmé sa souveraineté et mis à nu l’ambiguïté d’un montage qui légitime l’ingérence.

2) Le calcul américain : sécuriser les chaînes d’approvisionnement avant la justice

Washington affiche un objectif de paix. Dans les faits, la priorité est de sécuriser les chaînes d’approvisionnement en minerais stratégiques sans friction géopolitique. Le Rwanda, petit État centralisé, “performant” dans le récit dominant, est souvent vu comme un partenaire exécutif fiable. La RDC, elle, souffre d’une image de géant instable et corrompu. Cette perception produit un biais structurel : on rétribue l’acteur considéré comme “prévisible”, même quand il est l’agresseur, et l’on infantilise la victime en la sommant d’absorber une intégration avec son voisin hostile.

Le message implicite est ravageur : la violence paie si elle livre une stabilité apparente au marché. C’est la vieille doctrine du “moins pire” : acheter le silence des armes, tolérer l’impunité, arrondir les angles avec des incitations économiques. Mais la stabilisation par la récompense de l’agression n’a jamais produit une paix durable ; elle fabrique des cycles où l’escalade devient un outil de négociation.

3) Kigali : ambitions constantes, instruments variables

Depuis 1996, la rhétorique officielle rwandaise – “sécuriser nos frontières, neutraliser les forces génocidaires” – sert de paravent à une stratégie économico-géopolitique orientée vers l’Est congolais. Le Kivu, ses gisements (coltan, or, étain), ses corridors de commerce et ses hauteurs stratégiques constituent un espace d’influence que Kigali cherche à tenir directement ou par procuration. Le M23 est l’instrument privilégié : force de pression, monnaie d’échange, bistouri géopolitique pour découper le tempo des négociations.

Or, une “intégration” qui rétribue le Rwanda n’éteint pas cette logique : elle institutionnalise le levier de chantage. Tant que la rente de conflit – directe ou blanchi par des dispositifs économiques – excède le coût politique, Kigali n’a aucune raison de démanteler ses réseaux, seulement de les reconfigurer.

4) Le “pot-de-vin” diplomatique : prime à l’impunité

Parler de pot-de-vin n’est pas une outrance rhétorique. Dans l’économie réelle du conflit, la proposition revient à monétiser la retenue militaire rwandaise : avantages politiques, statut de partenaire “clé”, facilités d’accès aux retombées économiques. Ce modèle, déjà vu ailleurs, produit trois effets toxiques :

  1. Affaissement de la souveraineté : on somme la RDC de co-gérer sa propre sécurité avec l’État qui alimente l’insécurité.
  2. Banalisation de l’agression : les violations deviennent des cartes à jouer pour obtenir des concessions.
  3. Signal régional pervers : l’“initiative violente” devient un business model de négociation.

5) La faiblesse congolaise existe, mais elle n’oblige pas à se rendre

Oui, l’armée congolaise est incomplètement réformée, parfois infiltrée, et sous-équipée. Oui, l’État a souffert de captations clientélistes et d’un déficit de continuité stratégique. Oui encore, Kigali a investi de longue date dans un lobbying international efficace. Mais reconnaître ces faiblesses ne signifie pas accepter un cadre qui normalise l’occupation. Le refus de signer est un acte de lucidité stratégique : entre l’isolement relatif et la capitulation juridique, la RDC a choisi de préserver les fondamentaux de sa souveraineté.

6) Les effets à long terme d’une paix achetée

Même si l’“intégration” obtenait un répit tactique, les causes profondes – compétition pour la ressource, impunité, externalités régionales, économie de guerre – resteraient intactes. En confiant à l’agresseur une part de la rente économique, on verrouille un déséquilibre où l’“entrepreneur de violence” encaisse deux fois : via ses circuits illicites (contrebande minière) et via des guichets licites (accords, projets, labels). La violence devient auto-assurée par la diplomatie.

7) L’influence par la corruption : achat de relais, brouillage moral

Kigali ne se contente pas d’outils militaires. Le Rwanda investit dans les imaginaires : financements, invitations, relais médiatiques, cabinets de lobbying, réseaux académiques et, parfois, canaux religieux. Dans l’espace congolais, une partie des voix – y compris dans certaines Églises – prêche la “réconciliation” sans nommer les crimes, ni l’occupation, ni le pillage. C’est une corruption d’influence : pas seulement acheter le silence, mais fabriquer une confusion morale qui dépolitise l’agression et culpabilise la victime. La société se divise, l’effort de défense s’émiette, l’agresseur gagne du temps.

8) Pourquoi la nouvelle “intégration” est redondante : la CEPGL existe déjà

L’argument de l’innovation institutionnelle ne tient pas : la région dispose depuis 1976 de la Communauté Économique des Pays des Grands Lacs (CEPGL)RDC, Rwanda, Burundi – conçue pour la coopération économique, la sécurité collective et le développement équilibré. Plutôt que d’adosser tout projet à la CEPGL, cadre africain d’égalité entre États, on propose une architecture parallèle calibrée par des priorités extra-régionales. Résultat : la marginalisation du Burundi, la réduction de la RDC en simple réservoir de minerais, et la promotion de Kigali au rang de pivot “méritant”.

Soutenir la CEPGL – budget, secrétariat renforcé, mécanismes de transparence, arbitrage contraignant – offrirait un cadre légitime et équitable. Inventer un “mécanisme spécial” revient à court-circuiter l’africanisation des solutions et à entériner l’idée qu’un agresseur bien connecté mérite un traitement de faveur.

9) Un Rwanda structuré en économie de guerre

La stabilité de la rente rwandaise tient à la porosité volontaire entre circuits licites et illicites. Le M23 et d’autres intermédiaires sécurisent des flux miniers qui transitent vers le Rwanda avant ré-exportation. L’“intégration” promise n’assèche pas cette rente ; elle la blanchit. Tant que le différentiel de profit restera supérieur au coût diplomatique, Kigali conservera l’option d’éteindre ou d’attiser l’incendie selon l’opportunité.

10) Ligne d’action pour Kinshasa : fermeté, cohérence, coalition

Face au piège, cinq axes concrets :

  1. Conditionnalité absolue : aucun accord économique avec Kigali tant que toute présence militaire directe ou par procuration n’est pas vérifiée, démantelée et sanctionnée.
  2. Réarmement institutionnel : réforme accélérée des chaînes de commandement, audits des dépenses de défense, doctrine claire de protection des corridors miniers, capacités anti-drone, logistique et renseignement.
  3. Diplomatie africaine structurée : SADC et CEEAC comme piliers, CEPGL comme forum économique de référence ; coalitions thématiques (traçabilité minière, poursuites transfrontalières, démobilisation).
  4. Assèchement de l’influence achetée : registres de transparence pour organisations et leaders d’opinion, traçabilité des dons, codes éthiques renforcés dans les institutions religieuses et médiatiques, sanctions administratives en cas de collusion avec des intérêts étrangers hostiles.
  5. Chaîne de valeur locale : montée en gamme in situ (pré-transformation, fonderie, batteries), contrats d’of take avec clauses de contenu local et pénalités en cas de non-respect, partenariats avec acteurs disposés à cogérer la traçabilité (marquage, blockchain, audits indépendants).

11) Mobiliser la société congolaise et la diaspora

La politique de sécurité n’est jamais seulement affaire d’état-major. Il faut des récits, des preuves, des campagnes. Documenter les violations, soutenir les défenseurs locaux, amplifier la communication stratégique en plusieurs langues, structurer des contentieux internationaux contre les personnes physiques et morales complices du pillage : voilà ce qui transforme l’indignation en coût réel pour l’agresseur. La diaspora peut relayer, financer, plaider, et constituer une économie d’appui au tissu productif congolais pour réduire la dépendance aux bailleurs ambivalents.

12) Pourquoi “acheter” la paix ne la construit jamais

Payer l’incendiaire pour qu’il cesse d’attiser le feu ne traite ni l’incendie, ni l’incendiaire, ni la matière inflammable. On obtient une accalmie précaire, puis une reprise au moment opportun. La paix durable est institutionnelle (État solide), économique (chaînes de valeur traçables, inclusion territoriale), judiciaire (sanctions et réparations), politique (représentation, décentralisation effective), diplomatique (alliances cohérentes). Elle ne se loue pas à la journée avec des incitations ; elle se bâtit.

Conclusion : la dignité n’est pas négociable

Le “pot-de-vin” offert à Kagame ne mettra pas fin à l’agression ; il validera un modèle où l’instabilité devient un actif monnayable. Récompenser un État qui occupe, massacre et pille revient à proclamer que l’impunité est rentable. La RDC n’a pas vocation à être l’objet d’un arrangement où son sang et ses richesses servent de monnaie d’échange.

La voie responsable est connue : conditionnalité ferme, renforcement de la CEPGL, réformes militaires, assèchement de l’influence achetée, montée en gamme locale des minerais, coalitions africaines et contentieux ciblés. La paix ne s’achète pas : elle se défend et se construit par la justice, la mémoire et la souveraineté. Tant que Kigali percevra plus d’avantages à maintenir la pression qu’à respecter le droit, aucun “accord d’intégration” ne sera autre chose qu’un cessez-le-feu tarifé. À Kinshasa – et à ses alliés sincères – d’élever le coût de l’agression et de rendre la dignité non négociable.

Préparé par :
Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte Bienvenue
African Rights Alliance, London, UK

No comments:

Post a Comment