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Saturday, 27 September 2025

Les États-Unis « bloqués » par Paul Kagame dans les négociations entre le Rwanda et la RDC

Analyse critique de l’interview de Massad Boulos sur Radio Kinshasa

Introduction

L’interview accordée récemment par Massad Boulos à Radio Kinshasa a provoqué une onde de choc dans l’opinion publique congolaise et au-delà. Ses propos, loin d’apporter de la clarté sur la crise de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), ont été perçus comme une tentative de minimiser la gravité des crimes commis, de détourner l’attention de la responsabilité directe du Rwanda, et de redéfinir unilatéralement les priorités diplomatiques.

Selon Boulos, les négociations de Doha constitueraient le cœur du problème, alors même que l’Accord de Washington avait été présenté par les États-Unis comme le principal outil de résolution. Donald Trump, dans son style caractéristique, s’était même vanté d’avoir « arrêté la guerre » entre Kigali et Kinshasa grâce à cet accord. Pourtant, la guerre se poursuit, le M23 progresse, et les Forces de défense rwandaises (RDF) continuent d’opérer en territoire congolais.

Plus grave encore, Boulos a repris à son compte l’argument de « sécurité nationale » avancé par Kigali pour justifier sa présence militaire en RDC, en évoquant la menace persistante des FDLR. Or, cet argument, usé depuis plus de vingt ans, n’est qu’un prétexte récurrent qui masque une stratégie expansionniste bien huilée.

Enfin, Boulos a proposé des solutions extrêmement controversées, notamment l’intégration des combattants du M23 dans les FARDC et une réorganisation institutionnelle fondée sur la gouvernance et la décentralisation. Or, replacées dans leur contexte, ces propositions apparaissent comme des concessions dangereuses qui franchissent les lignes rouges fixées par Kinshasa et par la communauté internationale.

Cette analyse critique montre que les propos de Boulos entretiennent un flou dangereux : ils renforcent de facto la position de Paul Kagame, affaiblissent la souveraineté congolaise, et risquent de prolonger indéfiniment une guerre qui dure depuis près de trente ans.

1. Un doute inacceptable sur le génocide en RDC

La partie la plus choquante de l’interview concerne la minimisation du génocide congolais. Boulos a réduit le débat à une question de terminologie, insinuant que le terme « génocide » serait inapproprié, et avançant des chiffres très inférieurs aux estimations reconnues. Selon lui, le nombre de morts se situerait entre 6 et 7 millions, alors que d’autres études et ONG évoquent plus de 10 millions de victimes depuis le milieu des années 1990.

Or, la réalité est connue : la RDC a subi des massacres de masse, des déplacements forcés de populations, des viols utilisés comme armes de guerre, et un pillage systématique de ses ressources. Ces atrocités ne sont pas de simples « dommages collatéraux » : elles ont été planifiées, coordonnées et exécutées dans le cadre d’une stratégie régionale visant à déstabiliser l’Est et à en exploiter les richesses.

Le fameux Mapping Report des Nations unies (2010) décrit en détail des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des actes susceptibles d’être qualifiés de génocide. Nier ou relativiser cette réalité revient à insulter la mémoire des victimes et à protéger les auteurs. En pratique, ce type de discours offre une couverture politique à Kigali, dont l’implication directe dans la déstabilisation de la RDC est largement documentée.

2. Les « causes profondes » : un discours biaisé et imposé de l’extérieur

Boulos insiste sur les négociations de Doha, affirmant que ce processus serait la clé pour comprendre le conflit. Or, ce raisonnement est biaisé.

D’abord, il occulte un fait central : le M23 n’est pas un acteur indépendant. C’est une rébellion armée créée, financée, et soutenue par Kigali. Les RDF combattent ouvertement à ses côtés, comme l’ont confirmé plusieurs rapports onusiens et organisations internationales.

Ensuite, il passe sous silence l’Accord de Washington, présenté par les États-Unis eux-mêmes comme l’outil principal pour désamorcer le conflit. En déplaçant toute l’attention sur Doha, Boulos laisse entendre que la RDC elle-même serait le problème, et que tout se résumerait à un déséquilibre interne de gouvernance.

Mais surtout, il faut rappeler que les « causes profondes » mises en avant dans ces négociations ne sont pas le fruit d’un consensus. Elles ont été définies unilatéralement par le Rwanda et le M23, qui imposent leurs propres revendications – notamment politiques et territoriales – en les faisant passer pour des doléances congolaises. Autrement dit, Kigali et ses alliés fabriquent un récit qui sert leurs ambitions géopolitiques, puis l’imposent à la communauté internationale comme une grille d’analyse incontournable.

Cette manipulation est dangereuse : elle banalise l’agression étrangère et rejette la faute sur Kinshasa. Les Congolais, eux, voient dans ce discours une injustice flagrante, une inversion des responsabilités qui protège l’agresseur au lieu de défendre les victimes.

3. La rencontre avortée de Washington : la vérité occultée

Autre point polémique : la recontre prévue à Washington entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Selon Boulos, elle n’aurait « jamais été planifiée ». Cette affirmation est contredite par plusieurs sources diplomatiques, qui confirment qu’une rencontre était bien envisagée, mais qu’elle a été annulée en raison du refus de Kagame d’en accepter l’agenda.

Qualifier ce refus de simple « complexité » revient à masquer la réalité : Kagame ne veut rien céder. Son objectif est clair : maintenir une pression militaire permanente, utiliser le M23 comme levier politique, et imposer à terme ses conditions.

En niant l’existence même de cette rencontre, Boulos brouille le récit diplomatique, dilue les responsabilités et affaiblit la position américaine. Cette posture décrédibilise la médiation et envoie un signal négatif à Kinshasa, déjà fragilisée par des décennies de concessions forcées.

4. Kagame, la véritable source de la « complexité »

Dire que la situation est « complexe » est devenu un refrain diplomatique. Or, cette complexité n’est pas naturelle, elle est fabriquée par Kigali.

Depuis plus de vingt ans, Paul Kagame poursuit une stratégie méthodique :

  • Maintenir une insécurité permanente dans l’Est congolais pour empêcher l’État central d’exercer son autorité.
  • Exploiter illégalement les ressources (coltan, or, cassitérite) via des réseaux parallèles contrôlés par le Rwanda.
  • Utiliser le M23 comme bras armé, afin d’obtenir des concessions politiques et territoriales.
  • Promouvoir une balkanisation rampante, visant à transformer le Kivu en zone tampon sous influence rwandaise.

En réalité, si le Rwanda cessait son ingérence, la crise serait beaucoup plus simple à résoudre. Ce n’est pas l’incapacité congolaise à gouverner qui rend la situation insoluble, mais bien la stratégie expansionniste de Kigali.

5. L’intégration du M23 dans les FARDC : une proposition dangereuse

L’une des suggestions les plus polémiques de Boulos est l’intégration du M23 dans l’armée congolaise. Cette proposition est non seulement irréaliste, mais aussi extrêmement dangereuse.

L’expérience passée a montré les effets catastrophiques de telles intégrations. En 2009, le CNDP avait été incorporé dans les FARDC à la suite d’accords politiques. Résultat : infiltration des structures militaires, affaiblissement de la chaîne de commandement, et émergence quelques années plus tard… du M23.

Intégrer à nouveau des rebelles soutenus par Kigali reviendrait à institutionnaliser l’impunité et à récompenser l’agression armée. Ce serait un signal dramatique : toute rébellion appuyée de l’extérieur pourrait espérer obtenir une légitimité militaire et politique en échange de sa violence.

Pour Kinshasa, cette option est une ligne rouge. Elle compromettrait non seulement la cohésion de l’armée, mais aussi la souveraineté de l’État.

6. Gouvernance, décentralisation et le piège du fédéralisme imposé

Boulos insiste également sur la gouvernance et la décentralisation, qu’il présente comme des solutions. Pris isolément, ces thèmes sont légitimes : améliorer la gouvernance, rapprocher l’État des citoyens, renforcer les provinces sont des objectifs inscrits dans la Constitution congolaise.

Mais replacés dans ce contexte, ces arguments apparaissent comme une caution donnée aux revendications du M23 et à la vision fédéraliste de Kagame. Le « fédéralisme » prôné par ces acteurs n’est pas une aspiration démocratique congolaise : c’est une stratégie imposée de l’extérieur pour affaiblir Kinshasa et consolider l’emprise rwandaise sur certaines provinces stratégiques.

La vraie réforme institutionnelle doit renforcer l’unité nationale et servir la population, pas légitimer des zones d’influence armée.

7. Contradiction avec la résolution 2773 du Conseil de sécurité

Les propos de Boulos entrent en contradiction directe avec la résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations unies. Celle-ci :

  • condamne explicitement les activités du M23 ;
  • exige le retrait immédiat des zones occupées ;
  • rappelle l’obligation de respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté de la RDC.

Proposer l’intégration du M23 dans les FARDC, sans désarmement préalable ni justice, revient à piétiner ces engagements internationaux. C’est aussi un déni de la Déclaration de Washington, qui insiste sur trois points : le départ des troupes rwandaises, la fin de l’appui militaire au M23, et le désarmement des groupes armés.

8. Une médiation américaine perçue comme biaisée et inefficace

Au final, l’impression laissée par cette interview est celle d’une médiation américaine partiale et inefficace. Au lieu de soutenir clairement la RDC face à une agression extérieure, Boulos donne le sentiment de valider les revendications rwandaises et de déplacer le problème sur Kinshasa.

Cette attitude reflète une faiblesse plus large de la politique américaine en Afrique centrale : la tendance à privilégier des « alliés stratégiques » comme Kigali, même au prix de la justice et de la souveraineté. Pour les Congolais, c’est vécu comme une trahison. Le ressentiment contre les puissances occidentales grandit, car elles apparaissent comme complices du statu quo sanglant qui perdure depuis des décennies.

9. Pour une feuille de route crédible

Une sortie de crise viable doit s’articuler autour de quatre piliers :

1.    Sécurité : retrait des RDF, cessation du soutien au M23, cantonnement des groupes armés, protection effective des civils et réouverture des corridors humanitaires.

2.    Justice : identification et poursuite des responsables de crimes graves, réparations pour les victimes, et lutte contre l’impunité.

3.    Réformes militaires (SSR/DDR) : désarmement vérifiable, démobilisation contrôlée, intégration sélective et conditionnelle d’ex-combattants, avec garanties de non-récidive.

4.    Gouvernance : mise en œuvre réelle de la décentralisation constitutionnelle, mais sans pressions extérieures ni manipulations armées.

 

Conclusion : nommer la réalité pour construire la paix

L’interview de Massad Boulos illustre une dérive dangereuse : minimiser la réalité du génocide congolais, ignorer les responsabilités du Rwanda, et proposer des solutions qui récompensent la violence. Derrière le langage diplomatique de la « complexité » se cache une vérité simple : la crise de l’Est est le fruit d’une agression extérieure, planifiée et persistante.

Les millions de victimes congolaises méritent reconnaissance et justice. Leur souffrance ne peut être relativisée au nom d’intérêts géopolitiques. Pour espérer une paix durable, il est impératif de respecter la résolution 2773 du Conseil de sécurité, d’appliquer la Déclaration de Washington, et de rappeler sans ambiguïté que la souveraineté de la RDC n’est pas négociable.

Le génocide congolais doit être reconnu sur son propre mérite, sans être comparé ni relativisé au regard d’autres tragédies. Toute tentative de minimisation ou de négation est une insulte à la mémoire des victimes et un obstacle majeur à la réconciliation.

Enfin, il appartient aux Congolais eux-mêmes – et non au Rwanda, au M23 ou à des diplomates étrangers – de définir les véritables causes profondes de la crise et les voies de sortie. Tant que ces « causes » seront décidées unilatéralement par Kigali, aucune paix durable ne sera possible.

Prepared par :

Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte  Bienvenue

African Rights Alliance, London, UK


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