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Monday, 25 August 2025

La cogestion des zones occupées par le RDF/M23 : une capitulation pour la RDC

Introduction

Depuis 2022, l’est de la République démocratique du Congo (RDC) traverse une nouvelle phase d’instabilité liée à la résurgence du Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par des éléments de l’Armée rwandaise (RDF). Cette rébellion, que Kinshasa considère comme une émanation du Rwanda, a occupé plusieurs localités stratégiques du Nord-Kivu, créant une crise humanitaire et sécuritaire majeure. Dans ce contexte, l’idée d’une « cogestion » de ces zones occupées par le M23 a émergé dans certains cercles diplomatiques et médiatiques.

Or, pour de nombreux Congolais, cette hypothèse est perçue comme une capitulation inacceptable de la souveraineté nationale. La cogestion reviendrait en réalité à institutionnaliser la présence du Rwanda sur le sol congolais, à travers son proxy le M23. Cette approche pose des questions fondamentales : légitimer une telle cogestion, n’est-ce pas nier le rôle central du Rwanda dans cette guerre ? Ne serait-ce pas aussi tourner le dos aux crimes commis par le RDF/M23 contre les populations civiles ?

Cet article examine en profondeur pourquoi la cogestion des zones occupées par le RDF/M23 constituerait une défaite politique et morale pour la RDC, et pourquoi le M23 ne peut revendiquer aucune légitimité à participer à une telle gestion.

1. Le M23, une rébellion sans autonomie réelle

1.1. Une résurgence construite par Kigali

Le M23 s’est présenté en 2022 comme un mouvement congolais, prétendant défendre des revendications de sécurité et d’inclusion politique. Pourtant, de multiples rapports des Nations Unies, d’ONG internationales et de chercheurs indépendants démontrent que le M23 n’aurait pas pu renaître sans l’appui direct du Rwanda.

Le Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC (2022 et 2023) a documenté le déploiement de troupes rwandaises aux côtés du M23, la fourniture d’armes sophistiquées, de renseignements militaires et de soutien logistique. Le M23 est donc un instrument militaire du Rwanda, et non un acteur autonome capable de mener une guerre prolongée.

1.2. Une façade politique sans légitimité

Le discours du M23 s’appuie sur l’argument de la « marginalisation » des populations rwandophones. Mais en pratique, ses actions traduisent une logique d’occupation militaire et de pillage économique. Le mouvement n’a ni assise populaire significative en RDC, ni légitimité politique interne. Sans le parapluie militaire du Rwanda, le M23 serait rapidement neutralisé par les Forces armées de la RDC (FARDC).

Dès lors, envisager une cogestion des zones occupées par le M23 revient à reconnaître indirectement au Rwanda un droit de regard sur le Kivu. La cogestion ne serait donc pas entre Kinshasa et le M23, mais bel et bien entre Kinshasa et Kigali.

2. La cogestion comme défaite de la souveraineté congolaise

2.1. Une reconnaissance de fait de l’occupation

Le droit international reconnaît le principe de souveraineté et d’intégrité territoriale. Toute cogestion des territoires occupés serait un aveu d’impuissance de l’État congolais et une reconnaissance implicite de l’occupation rwandaise.

Un tel scénario rappellerait les heures sombres de l’Accord de Lusaka (1999) ou du Dialogue intercongolais de Sun City (2002), où les groupes armés et leurs parrains étrangers avaient obtenu une place à la table politique. Mais contrairement à l’époque, aujourd’hui, le M23 n’a pas de base politique large en RDC : il ne survit que par l’armée rwandaise.

2.2. Une remise en cause de la Constitution congolaise

L’article 2 de la Constitution congolaise stipule que la RDC est « un État unitaire, indivisible et souverain ». Accepter une cogestion serait une violation flagrante de ce principe constitutionnel. Cela reviendrait à entériner une partition de facto du pays, où des zones stratégiques comme Rutshuru ou Bunagana seraient gérées par un mouvement armé étranger.

Pour l’État congolais, cela constituerait une capitulation politique comparable à une reddition, avec un risque de contagion : d’autres groupes armés pourraient exiger à leur tour des arrangements similaires.

3. Les crimes du RDF/M23 : un lourd passif

3.1. Des massacres de civils documentés

Depuis le début de l’offensive du M23, des milliers de civils ont été tués, notamment dans le territoire de Rutshuru et dans le Masisi. Des massacres comme celui de Kishishe en novembre 2022, où plus de 130 civils auraient été exécutés sommairement selon l’ONU, illustrent la brutalité du mouvement et de ses alliés.

Ces crimes de guerre et crimes contre l’humanité ne peuvent être effacés par un simple arrangement politique. Octroyer une cogestion au M23 équivaudrait à récompenser des criminels de guerre et à nier le droit à la justice des victimes.

3.2. Les déplacements massifs et les violences sexuelles

Plus d’un million de personnes ont été déplacées par l’offensive du M23/RDF, selon le HCR. Les violences sexuelles, systématiquement utilisées comme arme de guerre dans l’est de la RDC, ont également marqué ce conflit. Des témoignages accablants font état de viols collectifs et de traitements inhumains contre les populations civiles.

La cogestion ne ferait qu’institutionnaliser l’impunité et fermer les yeux sur ces crimes. Elle signifierait pour les victimes que leurs souffrances n’ont servi à rien.

4. Les enjeux géopolitiques cachés derrière la cogestion

4.1. Les ressources naturelles du Kivu

Le Nord-Kivu est riche en coltan, or, étain et tungstène – minerais stratégiques pour l’industrie mondiale. Depuis des décennies, des réseaux transfrontaliers liés au Rwanda profitent de l’instabilité pour piller ces ressources.

La cogestion donnerait un cachet légal à l’exploitation illégale de ces minerais par le Rwanda, sous couvert du M23. Elle transformerait un pillage clandestin en partenariat officiel, au détriment de l’économie congolaise et des communautés locales.

4.2. Les calculs diplomatiques régionaux et internationaux

Certains acteurs internationaux pourraient être tentés de soutenir la cogestion comme une « solution pragmatique » pour stabiliser temporairement la région. Mais cette approche court-termiste ignorerait les causes profondes du conflit : l’ingérence rwandaise et l’exploitation économique illégale.

La cogestion ne serait pas un pas vers la paix, mais un piège diplomatique, qui renforcerait Kigali et affaiblirait durablement Kinshasa.

5. Pourquoi le M23 ne mérite pas la cogestion

5.1. Une organisation criminelle, non un acteur politique

Le M23 est une organisation armée responsable de crimes graves. En droit international, les crimes de guerre et crimes contre l’humanité excluent toute légitimité politique. Contrairement à d’autres mouvements rebelles qui ont pu obtenir une place dans des négociations (comme le SPLM au Soudan), le M23 n’a pas de projet politique crédible au-delà de l’agenda rwandais.

5.2. La responsabilité du Rwanda

Accorder la cogestion au M23 reviendrait en fait à donner au Rwanda un droit de cogestion du Kivu. Cela renforcerait l’influence d’un pays accusé d’agression armée et d’ingérence dans les affaires internes congolaises. Le message envoyé serait clair : l’usage de la force et des crimes de guerre paye, et peut ouvrir la voie à des gains politiques.

6. La cogestion : une illusion de paix

Certains défenseurs de l’idée de cogestion la présentent comme une solution pragmatique : un compromis temporaire permettant de « stabiliser » les zones occupées. Mais cette lecture est profondément erronée, car elle ignore les dynamiques complexes de l’est de la RDC. La cogestion ne mettrait pas fin aux violences, ni aux ambitions du Rwanda.

6.1. Les autres milices ne déposeraient pas les armes

Le M23 n’est pas le seul acteur armé à l’est. Des groupes comme les Wazalendo – mouvements d’autodéfense spontanés de la société congolaise – ont juré de combattre l’occupation jusqu’à la libération totale du territoire. En parallèle, le Rwanda a lui-même contribué à créer ou soutenir des milices comme Twirwaneho au Sud-Kivu, pour diviser et affaiblir la résistance congolaise.

Dans ce contexte, croire que la cogestion entraînerait une démobilisation générale est une illusion. Au contraire, elle alimenterait de nouvelles tensions, car les communautés locales verraient cet accord comme une trahison. Les Wazalendo, refusant la légitimation du M23, poursuivraient leurs attaques, et le cycle de violence se prolongerait.

6.2. Le pillage des ressources continuerait

La cogestion ne signifie en rien la fin du pillage. Depuis trois décennies, le Rwanda exploite clandestinement les minerais du Nord et du Sud-Kivu à travers des réseaux bien structurés. Même si un accord était signé, Kigali continuerait d’extraire coltan, or, étain et tungstène, soit directement par le M23, soit par d’autres groupes armés placés sous son influence.

La cogestion serait donc une couverture légale pour le pillage : loin de le stopper, elle risquerait de le renforcer en donnant une légitimité internationale au contrôle économique du Rwanda sur le Kivu.

6.3. L’ambition d’un « État indépendant » au Kivu

Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’ambition à long terme du Rwanda : établir une zone d’influence permanente au Kivu, voire encourager l’émergence d’un « État indépendant » contrôlé depuis Kigali. Certains discours d’élites politiques et militaires rwandaises laissent entendre cette vision expansionniste, qui remonte aux guerres du Congo des années 1996-2003.

La cogestion serait un premier pas vers cette balkanisation, car elle habituerait la communauté internationale à l’idée que Kinshasa ne contrôle pas pleinement son territoire. À terme, le Rwanda pourrait utiliser cette brèche pour justifier un découpage territorial officiel.

7. Alternatives à la cogestion : quelles options pour la RDC ?

7.1. La reconquête militaire et la coopération régionale

La première option pour la RDC reste la reconquête militaire, avec l’appui de ses alliés régionaux (SADC, Burundi, Tanzanie, Afrique du Sud). Le déploiement de la force régionale de la SADC en 2024 a montré une volonté de contrer militairement le M23/RDF. La reconquête progressive des territoires occupés renforcerait la souveraineté de l’État congolais.

7.2. La diplomatie et la justice internationale

La RDC doit également poursuivre une stratégie diplomatique visant à isoler le Rwanda sur la scène internationale, en mettant en avant les preuves de son implication. Le recours à des mécanismes judiciaires internationaux (Cour pénale internationale, juridictions universelles) pourrait aussi contribuer à établir les responsabilités.

7.3. La reconstruction et la présence de l’État

Au-delà de la réponse militaire et diplomatique, la RDC doit renforcer sa présence dans les zones libérées : infrastructures, services sociaux, justice, emploi. C’est seulement en reconstruisant un contrat social fort avec les populations locales que l’État pourra couper l’herbe sous le pied aux groupes armés.

Conclusion : la cogestion, un piège à éviter

La cogestion des zones occupées par le RDF/M23 ne serait pas un compromis, mais une capitulation historique pour la RDC. Elle reviendrait à institutionnaliser la présence rwandaise au Kivu, à nier les crimes commis par le M23, et à affaiblir durablement la souveraineté congolaise.

Le M23 n’a aucune légitimité à revendiquer une telle cogestion : sans le Rwanda, il n’aurait jamais pu occuper ces territoires. La cogestion ne serait donc rien d’autre qu’un accord de cogestion entre la RDC et le Rwanda – un scénario inacceptable pour l’avenir du pays.

Au lieu de céder à ce piège, la RDC doit poursuivre une stratégie fondée sur la résistance militaire, la mobilisation diplomatique et la reconstruction interne. La paix durable à l’est ne viendra pas de compromis imposés par les armes et les ingérences étrangères, mais de la restauration de la souveraineté congolaise et de la justice pour les victimes.

Pour éviter la capitulation évoquée précédemment, il est impératif que la RDC, ses partenaires régionaux et la communauté internationale agissent de concert pour transformer les prescriptions de la résolution 2773 en réalité sur le terrain. Ce n’est qu’en appliquant ses mesures clés — retrait des forces étrangères, maintien de l’ordre constitutionnel, justice pour les victimes et reconstruction durable — que la RDC pourra retrouver sa souveraineté, sécuriser l’est du pays et tourner la page de la guerre.

Preparé

Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte  Bienvenue

African Rights Alliance

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