Introduction
Depuis 2022, l’est de la
République démocratique du Congo (RDC) traverse une nouvelle phase
d’instabilité liée à la résurgence du Mouvement du 23 mars (M23),
soutenu par des éléments de l’Armée rwandaise (RDF). Cette rébellion,
que Kinshasa considère comme une émanation du Rwanda, a occupé plusieurs
localités stratégiques du Nord-Kivu, créant une crise humanitaire et
sécuritaire majeure. Dans ce contexte, l’idée d’une « cogestion » de ces zones
occupées par le M23 a émergé dans certains cercles diplomatiques et
médiatiques.
Or, pour de nombreux
Congolais, cette hypothèse est perçue comme une capitulation inacceptable
de la souveraineté nationale. La cogestion reviendrait en réalité à
institutionnaliser la présence du Rwanda sur le sol congolais, à travers son
proxy le M23. Cette approche pose des questions fondamentales : légitimer une
telle cogestion, n’est-ce pas nier le rôle central du Rwanda dans cette guerre
? Ne serait-ce pas aussi tourner le dos aux crimes commis par le RDF/M23 contre
les populations civiles ?
Cet article examine en
profondeur pourquoi la cogestion des zones occupées par le RDF/M23
constituerait une défaite politique et morale pour la RDC, et pourquoi le M23
ne peut revendiquer aucune légitimité à participer à une telle gestion.
1. Le M23, une rébellion sans autonomie réelle
1.1. Une résurgence construite par Kigali
Le M23 s’est présenté en
2022 comme un mouvement congolais, prétendant défendre des revendications de
sécurité et d’inclusion politique. Pourtant, de multiples rapports des Nations
Unies, d’ONG internationales et de chercheurs indépendants démontrent que le
M23 n’aurait pas pu renaître sans l’appui direct du Rwanda.
Le Groupe d’experts de
l’ONU sur la RDC (2022 et 2023) a documenté le déploiement de troupes
rwandaises aux côtés du M23, la fourniture d’armes sophistiquées, de
renseignements militaires et de soutien logistique. Le M23 est donc un
instrument militaire du Rwanda, et non un acteur autonome capable de mener
une guerre prolongée.
1.2. Une façade politique sans légitimité
Le discours du M23
s’appuie sur l’argument de la « marginalisation » des populations rwandophones.
Mais en pratique, ses actions traduisent une logique d’occupation militaire et
de pillage économique. Le mouvement n’a ni assise populaire significative en
RDC, ni légitimité politique interne. Sans le parapluie militaire du Rwanda, le
M23 serait rapidement neutralisé par les Forces armées de la RDC (FARDC).
Dès lors, envisager une cogestion
des zones occupées par le M23 revient à reconnaître indirectement au Rwanda
un droit de regard sur le Kivu. La cogestion ne serait donc pas entre Kinshasa
et le M23, mais bel et bien entre Kinshasa et Kigali.
2. La cogestion comme défaite de la souveraineté congolaise
2.1. Une reconnaissance de fait de l’occupation
Le droit international
reconnaît le principe de souveraineté et d’intégrité territoriale. Toute
cogestion des territoires occupés serait un aveu d’impuissance de l’État
congolais et une reconnaissance implicite de l’occupation rwandaise.
Un tel scénario
rappellerait les heures sombres de l’Accord de Lusaka (1999) ou du Dialogue
intercongolais de Sun City (2002), où les groupes armés et leurs parrains
étrangers avaient obtenu une place à la table politique. Mais contrairement à
l’époque, aujourd’hui, le M23 n’a pas de base politique large en RDC : il ne
survit que par l’armée rwandaise.
2.2. Une remise en cause de la Constitution congolaise
L’article 2 de la
Constitution congolaise stipule que la RDC est « un État unitaire, indivisible
et souverain ». Accepter une cogestion serait une violation flagrante de ce
principe constitutionnel. Cela reviendrait à entériner une partition de
facto du pays, où des zones stratégiques comme Rutshuru ou Bunagana
seraient gérées par un mouvement armé étranger.
Pour l’État congolais,
cela constituerait une capitulation politique comparable à une
reddition, avec un risque de contagion : d’autres groupes armés pourraient
exiger à leur tour des arrangements similaires.
3. Les crimes du RDF/M23 : un lourd passif
3.1. Des massacres de civils documentés
Depuis le début de
l’offensive du M23, des milliers de civils ont été tués, notamment dans le
territoire de Rutshuru et dans le Masisi. Des massacres comme celui de Kishishe
en novembre 2022, où plus de 130 civils auraient été exécutés sommairement
selon l’ONU, illustrent la brutalité du mouvement et de ses alliés.
Ces crimes de guerre et
crimes contre l’humanité ne peuvent être effacés par un simple arrangement
politique. Octroyer une cogestion au M23 équivaudrait à récompenser des
criminels de guerre et à nier le droit à la justice des victimes.
3.2. Les déplacements massifs et les violences sexuelles
Plus d’un million de
personnes ont été déplacées par l’offensive du M23/RDF, selon le HCR. Les
violences sexuelles, systématiquement utilisées comme arme de guerre dans l’est
de la RDC, ont également marqué ce conflit. Des témoignages accablants font état
de viols collectifs et de traitements inhumains contre les populations civiles.
La cogestion ne ferait
qu’institutionnaliser l’impunité et fermer les yeux sur ces crimes. Elle
signifierait pour les victimes que leurs souffrances n’ont servi à rien.
4. Les enjeux géopolitiques cachés derrière la cogestion
4.1. Les ressources naturelles du Kivu
Le Nord-Kivu est riche en
coltan, or, étain et tungstène – minerais stratégiques pour l’industrie
mondiale. Depuis des décennies, des réseaux transfrontaliers liés au Rwanda
profitent de l’instabilité pour piller ces ressources.
La cogestion donnerait un
cachet légal à l’exploitation illégale de ces minerais par le Rwanda,
sous couvert du M23. Elle transformerait un pillage clandestin en partenariat
officiel, au détriment de l’économie congolaise et des communautés locales.
4.2. Les calculs diplomatiques régionaux et internationaux
Certains acteurs
internationaux pourraient être tentés de soutenir la cogestion comme une «
solution pragmatique » pour stabiliser temporairement la région. Mais cette
approche court-termiste ignorerait les causes profondes du conflit :
l’ingérence rwandaise et l’exploitation économique illégale.
La cogestion ne serait
pas un pas vers la paix, mais un piège diplomatique, qui renforcerait
Kigali et affaiblirait durablement Kinshasa.
5. Pourquoi le M23 ne mérite pas la cogestion
5.1. Une organisation criminelle, non un acteur politique
Le M23 est une
organisation armée responsable de crimes graves. En droit international, les
crimes de guerre et crimes contre l’humanité excluent toute légitimité
politique. Contrairement à d’autres mouvements rebelles qui ont pu obtenir une
place dans des négociations (comme le SPLM au Soudan), le M23 n’a pas de projet
politique crédible au-delà de l’agenda rwandais.
5.2. La
responsabilité du Rwanda
Accorder la cogestion au
M23 reviendrait en fait à donner au Rwanda un droit de cogestion du Kivu.
Cela renforcerait l’influence d’un pays accusé d’agression armée et d’ingérence
dans les affaires internes congolaises. Le message envoyé serait clair :
l’usage de la force et des crimes de guerre paye, et peut ouvrir la voie à des
gains politiques.
6. La cogestion : une illusion de paix
Certains défenseurs de
l’idée de cogestion la présentent comme une solution pragmatique : un compromis
temporaire permettant de « stabiliser » les zones occupées. Mais cette lecture
est profondément erronée, car elle ignore les dynamiques complexes de l’est de
la RDC. La cogestion ne mettrait pas fin aux violences, ni aux ambitions du
Rwanda.
6.1. Les autres milices ne déposeraient pas les armes
Le M23 n’est pas le seul
acteur armé à l’est. Des groupes comme les Wazalendo – mouvements
d’autodéfense spontanés de la société congolaise – ont juré de combattre
l’occupation jusqu’à la libération totale du territoire. En parallèle, le
Rwanda a lui-même contribué à créer ou soutenir des milices comme Twirwaneho
au Sud-Kivu, pour diviser et affaiblir la résistance congolaise.
Dans ce contexte, croire
que la cogestion entraînerait une démobilisation générale est une illusion. Au
contraire, elle alimenterait de nouvelles tensions, car les communautés
locales verraient cet accord comme une trahison. Les Wazalendo, refusant la
légitimation du M23, poursuivraient leurs attaques, et le cycle de violence se
prolongerait.
6.2. Le pillage des ressources continuerait
La cogestion ne signifie
en rien la fin du pillage. Depuis trois décennies, le Rwanda exploite
clandestinement les minerais du Nord et du Sud-Kivu à travers des réseaux bien
structurés. Même si un accord était signé, Kigali continuerait d’extraire
coltan, or, étain et tungstène, soit directement par le M23, soit par d’autres
groupes armés placés sous son influence.
La cogestion serait donc
une couverture légale pour le pillage : loin de le stopper, elle
risquerait de le renforcer en donnant une légitimité internationale au contrôle
économique du Rwanda sur le Kivu.
6.3. L’ambition d’un « État indépendant » au Kivu
Enfin, il ne faut pas
sous-estimer l’ambition à long terme du Rwanda : établir une zone d’influence
permanente au Kivu, voire encourager l’émergence d’un « État indépendant »
contrôlé depuis Kigali. Certains discours d’élites politiques et militaires rwandaises
laissent entendre cette vision expansionniste, qui remonte aux guerres du Congo
des années 1996-2003.
La cogestion serait un premier
pas vers cette balkanisation, car elle habituerait la communauté
internationale à l’idée que Kinshasa ne contrôle pas pleinement son territoire.
À terme, le Rwanda pourrait utiliser cette brèche pour justifier un découpage
territorial officiel.
7. Alternatives à la cogestion : quelles options pour la RDC ?
7.1. La reconquête militaire et la coopération régionale
La première option pour
la RDC reste la reconquête militaire, avec l’appui de ses alliés régionaux
(SADC, Burundi, Tanzanie, Afrique du Sud). Le déploiement de la force régionale
de la SADC en 2024 a montré une volonté de contrer militairement le M23/RDF. La
reconquête progressive des territoires occupés renforcerait la souveraineté de
l’État congolais.
7.2. La diplomatie et la justice internationale
La RDC doit également
poursuivre une stratégie diplomatique visant à isoler le Rwanda sur la scène
internationale, en mettant en avant les preuves de son implication. Le
recours à des mécanismes judiciaires internationaux (Cour pénale
internationale, juridictions universelles) pourrait aussi contribuer à établir
les responsabilités.
7.3. La reconstruction et la présence de l’État
Au-delà de la réponse
militaire et diplomatique, la RDC doit renforcer sa présence dans les zones
libérées : infrastructures, services sociaux, justice, emploi. C’est seulement
en reconstruisant un contrat social fort avec les populations locales
que l’État pourra couper l’herbe sous le pied aux groupes armés.
Conclusion : la cogestion, un piège à éviter
La cogestion des zones
occupées par le RDF/M23 ne serait pas un compromis, mais une capitulation
historique pour la RDC. Elle reviendrait à institutionnaliser la présence
rwandaise au Kivu, à nier les crimes commis par le M23, et à affaiblir
durablement la souveraineté congolaise.
Le M23 n’a aucune
légitimité à revendiquer une telle cogestion : sans le Rwanda, il n’aurait
jamais pu occuper ces territoires. La cogestion ne serait donc rien d’autre
qu’un accord de cogestion entre la RDC et le Rwanda – un scénario inacceptable
pour l’avenir du pays.
Au lieu de céder à ce
piège, la RDC doit poursuivre une stratégie fondée sur la résistance
militaire, la mobilisation diplomatique et la reconstruction interne. La
paix durable à l’est ne viendra pas de compromis imposés par les armes et les
ingérences étrangères, mais de la restauration de la souveraineté congolaise et
de la justice pour les victimes.
Pour éviter la capitulation évoquée précédemment, il est impératif que la
RDC, ses partenaires régionaux et la communauté internationale agissent de
concert pour transformer
les prescriptions de la résolution 2773 en réalité sur le terrain.
Ce n’est qu’en appliquant ses mesures clés — retrait des forces étrangères,
maintien de l’ordre constitutionnel, justice pour les victimes et
reconstruction durable — que la RDC pourra retrouver sa souveraineté, sécuriser
l’est du pays et tourner la page de la guerre.
Preparé
Sam Nkumi, Chris Thomson
& Gilberte Bienvenue
African Rights Alliance
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