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Wednesday, 3 September 2025

Négociations de Doha : pourquoi la RDC doit refuser le cessez-le-feu et la libération des prisonniers

Les négociations de Doha, présentées comme une étape décisive pour ramener la paix dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), reposent une fois encore sur deux propositions phares : un cessez-le-feu entre les Forces armées de la RDC (FARDC), les groupes d’autodéfense Wazalendo et le Mouvement du 23 mars (M23), ainsi que la libération des prisonniers liés à ce dernier. Pour les médiateurs internationaux et certains partenaires étrangers, ces mesures apparaissent comme des solutions raisonnables afin de réduire l’intensité des combats et d’instaurer un climat propice au dialogue.

Cependant, une lecture attentive de la situation démontre que ces propositions constituent de véritables menaces pour la souveraineté, la sécurité et la stabilité de la RDC. L’histoire récente de ce pays, l’expérience douloureuse de précédents accords, ainsi que la stratégie bien connue de ses adversaires, montrent clairement que céder sur ces points reviendrait à reproduire les mêmes erreurs qui ont permis au Rwanda et à ses groupes armés satellites de poursuivre leurs ambitions déstabilisatrices. Refuser ces conditions n’est pas une marque d’intransigeance, mais un impératif stratégique.

1. L’historique des cessez-le-feu : un piège systématique

Depuis plus de vingt ans, la RDC a multiplié les accords de cessez-le-feu avec des groupes armés actifs dans l’Est. Qu’il s’agisse du RCD, du CNDP ou aujourd’hui du M23, ces organisations ont toujours utilisé ces pauses comme des opportunités de reconstitution militaire.

Le schéma est bien connu : pendant que les FARDC sont contraintes de cesser leurs offensives, le M23 en profite pour recruter de nouveaux combattants, réorganiser ses troupes et recevoir des armes, du renseignement et du soutien logistique en provenance du Rwanda. Chaque trêve se transforme donc en un temps de répit qui favorise exclusivement les rebelles et leurs parrains régionaux.

Les FARDC, quant à elles, se retrouvent démobilisées, parfois démoralisées, et contraintes d’abandonner un terrain durement reconquis. Les communautés locales, déjà fragilisées, perdent confiance dans la capacité de l’État à les protéger. C’est ainsi que de cessez-le-feu en cessez-le-feu, la RDC a vu le M23 et ses prédécesseurs s’implanter durablement dans certaines zones stratégiques.

Accepter un nouveau cessez-le-feu à Doha reviendrait à reproduire ce cycle infernal. L’expérience prouve que le M23 n’a jamais respecté un accord de trêve. La RDC doit donc rompre avec cette logique répétitive qui a déjà coûté tant de vies et de territoires.

2. L’endormissement stratégique des FARDC et des Wazalendo

Un cessez-le-feu ne produit pas seulement des effets militaires : il agit également sur le plan psychologique et politique. En imposant une trêve aux FARDC et aux Wazalendo, on endort leur vigilance, on désorganise leurs stratégies locales et on crée une illusion trompeuse de paix imminente.

L’exemple des « Accords de Washington » illustre ce danger : convaincu que des soutiens extérieurs – en particulier américains – viendraient résoudre la crise, le gouvernement congolais a suspendu ses efforts militaires. L’attente d’une aide hypothétique a paralysé Kinshasa, tandis que les populations continuent de subir massacres et déplacements forcés.

Aujourd’hui, une trêve négociée à Doha risque de reproduire ce même schéma. Les FARDC et les groupes d’autodéfense, qui ont montré une détermination remarquable sur le terrain, se retrouveraient désorganisés et vulnérables, tandis que le M23 et ses parrains reprendraient l’initiative.

3. La stratégie de Paul Kagame : « to talk and fight »

Le président rwandais Paul Kagame a bâti sa réputation régionale sur une stratégie désormais bien connue : « to talk and fight » (parler et combattre). Elle consiste à négocier tout en poursuivant la guerre. À travers cette méthode, Kagame réussit à maintenir une image d’homme d’État ouvert au dialogue, alors même que ses troupes mènent des opérations militaires à travers des proxies comme le M23.

Cette duplicité lui permet de gagner du temps, de détourner l’attention de la communauté internationale et de légitimer indirectement ses ambitions territoriales et économiques. Chaque table de négociation devient un théâtre où Kigali soigne sa façade diplomatique, tout en consolidant ses positions militaires sur le terrain.

La RDC ne peut plus se laisser piéger par cette stratégie. Participer aux négociations ne doit pas signifier céder à des conditions qui profitent à l’agresseur. Refuser le cessez-le-feu et la libération des prisonniers revient à dénoncer cette hypocrisie et à affirmer que la paix véritable ne peut reposer sur des faux-semblants.

4. La question des prisonniers : un risque majeur pour la sécurité nationale

Parmi les conditions discutées à Doha figure la libération de prisonniers affiliés au M23. Or, nombre de ces détenus sont en réalité des infiltrés rwandais arrêtés en territoire congolais. Leur rôle ne se limitait pas au combat : certains ont été impliqués dans des activités d’espionnage, des assassinats ciblés et des opérations de déstabilisation urbaine.

Les libérer équivaudrait à remettre en circulation des agents formés, aguerris et motivés à poursuivre leurs missions. Cela renforcerait directement le dispositif opérationnel du M23 et accroîtrait la menace sécuritaire contre les populations civiles.

De plus, une telle mesure serait perçue par les Congolais comme une trahison. Dans un contexte où la confiance de la population envers ses institutions reste fragile, libérer ces individus reviendrait à envoyer le message que l’État cède face à l’ennemi. C’est un risque politique et sécuritaire que Kinshasa ne peut se permettre.

5. Une négociation déséquilibrée et dangereuse

Les pourparlers de Doha reposent sur un postulat biaisé : mettre sur un pied d’égalité un État souverain et un groupe rebelle soutenu par une puissance étrangère. Ce déséquilibre structurel confère au M23 une légitimité qu’il ne mérite pas.

Or, reconnaître le M23 comme un interlocuteur à part entière, c’est lui donner un poids politique qui dépasse largement sa réalité. Ce mouvement n’est pas une force politique représentative : il n’existe que grâce au soutien militaire et diplomatique du Rwanda. En l’érigeant en acteur incontournable, la communauté internationale contribue à délégitimer l’État congolais.

La RDC doit donc refuser toute négociation qui fragilise son autorité. La paix ne peut pas être construite sur des concessions accordées aux agresseurs, mais sur le respect des frontières et de la souveraineté.

6. L’illusion américaine et la déception inévitable

Un autre écueil des négociations de Doha réside dans l’ambiguïté des États-Unis. Washington prétend jouer un rôle d’arbitre, mais cette posture « équilibrée » entre l’agresseur (le Rwanda) et l’agressé (la RDC) se révèle contre-productive.

D’un côté, les États-Unis soutiennent des résolutions de l’ONU condamnant la présence des troupes rwandaises sur le sol congolais. De l’autre, ils ménagent Kigali pour préserver leurs intérêts économiques et sécuritaires. Le résultat est une diplomatie de façade, sans pression réelle sur Paul Kagame.

Il serait naïf d’attendre que Washington impose une solution ferme. Depuis les années 1990, les États-Unis ont joué un rôle clé dans la montée en puissance militaire et politique du Rwanda. Miser sur leur soutien inconditionnel reviendrait à répéter les illusions du passé.

La RDC doit donc compter avant tout sur ses propres forces et sur les alliances régionales déjà amorcées avec la SADC et l’Union africaine.

7. Quelles alternatives pour la RDC ?

Refuser les conditions de Doha ne signifie pas rejeter toute solution politique. Cela implique plutôt de poser des bases réalistes et protectrices pour l’avenir. Plusieurs pistes sont envisageables :

  1. Renforcer les FARDC et les Wazalendo : investir dans la formation, la logistique et le moral des troupes, afin de consolider une force de dissuasion crédible.
  2. Mener une diplomatie offensive : mobiliser l’Union africaine, la SADC et l’ONU pour obtenir des condamnations claires et des sanctions contre le Rwanda.
  3. Assurer la justice : juger les prisonniers pour leurs crimes de guerre et activités d’espionnage, y compris devant des juridictions internationales si nécessaire.
  4. Communiquer avec la population : expliquer les enjeux, renforcer la transparence et bâtir la confiance entre l’État et ses citoyens face à la guerre hybride.

Conclusion

Les négociations de Doha ne sont pas une porte ouverte vers la paix, mais un piège dont la RDC doit se méfier. Le cessez-le-feu n’est qu’un instrument tactique permettant au M23 et au Rwanda de gagner du temps, de reconstituer leurs forces et de préparer de nouvelles offensives. La libération des prisonniers constituerait une menace directe pour la sécurité nationale en restituant à l’ennemi des agents aguerris.

Refuser ces conditions n’est pas un geste radical, mais une nécessité dictée par l’expérience historique et par le réalisme politique. La RDC ne peut pas bâtir sa paix sur des concessions à ses agresseurs. Elle doit plutôt renforcer son armée, consolider l’unité nationale, poursuivre une diplomatie offensive et miser sur ses propres ressources.

La véritable paix viendra non pas de trêves illusoires, mais de la capacité de l’État congolais à défendre son territoire, à rendre justice et à dénoncer sans ambiguïté la responsabilité du Rwanda dans cette guerre par procuration.

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Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte  Bienvenue

African Rights Alliance

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