Le 27 juin 2025, la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ont signé à Washington un accord présenté comme une percée majeure vers la fin des hostilités. Le texte, rendu public par le Département d’État américain, mettait en avant le respect de l’intégrité territoriale, la fin des soutiens aux groupes armés et la mise en place de mécanismes conjoints, incluant notamment un volet de « dé-risquage » des chaînes d’approvisionnement en minerais et la construction de chaînes de valeur transfrontalières avec l’appui des États-Unis et d’investisseurs privés. Quelques semaines plus tard, Washington annonçait un cadre économique régional pour « déverrouiller le potentiel » de la région des Grands Lacs, présenté comme le prolongement de l’accord.
Sur le plan diplomatique, cette initiative a été saluée comme un « premier pas » susceptible d’ouvrir une fenêtre de désescalade. Toutefois, dès les premiers commentaires, de nombreux analystes insistaient sur les obstacles : une guerre fragmentée impliquant plus d’une centaine de groupes armés — dont les plus puissants sont créés et soutenus par le Rwanda —, une inclusion limitée des acteurs de terrain, et une dépendance excessive vis-à-vis d’incitations économiques encore très théoriques. Plusieurs observateurs congolais ont résumé l’ambivalence de ce processus par une formule frappante : « paix sur le papier, flou sur le terrain ».
Dans les Kivus, la réalité militaire n’a pas changé
Pendant que les plumes signaient à Washington, la situation sur le terrain demeurait inchangée. Des rapports onusiens successifs (Groupe d’experts, Conseil de sécurité, MONUSCO) documentent de manière précise l’implication directe des Forces de défense du Rwanda (RDF) : planification d’opérations, fourniture d’armes sophistiquées, commandement et contrôle opérationnel, et déploiement de plusieurs milliers de soldats en territoire congolais.
En mars 2025, la MONUSCO faisait état d’une « détérioration drastique » de la situation sécuritaire, due à la relance de l’offensive du M23 « soutenue par les RDF », et d’un « renforcement significatif » de forces étrangères dans l’est de la RDC. En juin, le Conseil de sécurité exhortait explicitement les RDF à mettre fin à leur appui au M23 et à « se retirer immédiatement » du territoire congolais. Cette exigence, réitérée dans la dernière résolution, montre que, malgré l’accord de Washington, l’occupation militaire et les appuis extérieurs perduraient.
Autrement dit, l’accord n’a pas modifié l’équilibre des forces. Les réalités militaires — positions tenues, lignes d’approvisionnement, envois de renforts — restent déterminantes, bien plus que les déclarations de principe signées dans les capitales occidentales.
Exactions et crise humanitaire : le M23 continue de tuer
Sur le plan des droits humains, les semaines suivant la signature n’ont apporté aucune amélioration. Au contraire, Human Rights Watch a documenté en juillet 2025 un massacre d’au moins 140 civils près du parc des Virunga, attribué au M23 « soutenu par le Rwanda ». Début juin, l’ONG avait déjà dénoncé l’exécution sommaire d’au moins 21 civils à Goma. Amnesty International, de son côté, soulignait que l’accord ne traitait pas de manière crédible les crimes graves commis dans l’est du pays, tout en rappelant que certaines milices pro-gouvernementales congolaises commettaient elles aussi des atrocités.
Ce constat est essentiel : un accord de paix qui ne se traduit pas rapidement par une réduction tangible des violences contre les civils perd toute légitimité aux yeux des populations. Dans l’est, plus de sept millions de déplacés témoignent de l’ampleur de la crise humanitaire. L’accès humanitaire reste entravé, les pillages de minerais vers le Rwanda se poursuivent, et les témoignages évoquent des cas persistants d’intimidation, d’extorsion et de violences sexuelles.
Administration parallèle : le M23 consolide son emprise
Si la situation demeure inchangée, c’est aussi parce que le M23 ne se comporte pas comme une force en reflux, mais comme une puissance installée. Depuis 2024, et avec davantage d’ampleur en 2025, le Groupe d’experts de l’ONU a documenté la mise en place d’une véritable administration parallèle : recensements forcés, création d’une « police » propre, contrôle des routes, taxation des marchandises, et surtout mainmise sur l’économie minière locale.
Le cas de Rubaya, cœur de la coltanite congolaise, illustre cette réalité : l’ONU et des enquêtes journalistiques ont montré comment la prise de ce site stratégique a permis au M23 d’imposer des taxes substantielles, générant plusieurs centaines de milliers de dollars par mois. En juillet 2025, Reuters révélait un schéma de contrebande impliquant une société rwandaise achetant directement du coltan issu des zones tenues par le M23, alimentant ainsi la machine de guerre. Même lorsque Kigali nie son implication, les volumes d’exportation de tantale déclarés par le Rwanda et les routes commerciales identifiées par les experts indiquent une contamination massive des chaînes d’approvisionnement régionales.
« Renforts » et logistique : une dynamique guerrière intacte
Affirmer que « le Rwanda continue d’envoyer des renforts » en RDC n’est pas un slogan politique, mais un constat factuel. Les rapports onusiens et les notes de la MONUSCO, couvrant la période précédant et suivant la signature, mentionnent régulièrement l’arrivée de renforts, un afflux d’équipements, et la présence persistante d’unités RDF aux côtés du M23. Des rapports confidentiels évoquent même une chaîne de commandement directe rwandaise, la fourniture d’armes sophistiquées capables de neutraliser les moyens aériens, et des effectifs RDF estimés à plusieurs milliers de soldats en territoire congolais.
Tant que ces paramètres militaro-logistiques ne sont pas démantelés, un texte de paix — fût-il détaillé — ne peut produire d’effets concrets. Le Conseil de sécurité a d’ailleurs dû rappeler, fin juin, l’exigence d’un retrait « sans conditions » des RDF. Là encore, cette injonction post-accord illustre l’inefficacité pratique du processus de Washington.
Un accord qui contourne le belligérant clé
Autre limite structurelle : l’accord de Washington a été conclu entre États voisins, mais sans participation formelle du M23, alors même que ce mouvement est le principal acteur militaire dans les zones concernées. Dans ces conditions, exiger de Kinshasa et de Kigali qu’ils « se retirent » ou « cessent leur appui » ne garantit pas que le M23 abandonne ses positions, cesse de taxer ou libère les populations. Les offensives lancées par le M23 après la signature illustrent clairement ce décalage entre diplomatie bilatérale et réalité militaire.
Cette omission est aggravée par un problème de séquençage : l’accord suppose des démarches « simultanées » (retrait rwandais / neutralisation des FDLR par l’armée congolaise). Or, nombre de bastions FDLR se trouvent précisément en zones tenues par le M23, donc hors de portée immédiate des FARDC. La simultanéité devient alors inapplicable sans mécanismes coercitifs et garanties de sécurité robustes.
« Paix » et minerais : les ambiguïtés d’un pari économique
L’accord met au cœur de sa stratégie l’intégration économique régionale, notamment autour des minerais stratégiques (3T et cobalt). L’idée : rendre la paix plus profitable que la guerre en alignant les intérêts commerciaux. Sur le papier, ce pari peut sembler rationnel. En pratique, tant que le M23 contrôle une économie politique de guerre — taxation aux points de passage, prélèvements sur les sites miniers, contrebande structurée via le Rwanda —, l’injection de capitaux et le « dé-risquage » des chaînes de valeur risquent surtout de légitimer des filières déjà capturées par des acteurs armés.
Le paradoxe est clair : si l’on mise sur l’économie pour sécuriser la région, il faut simultanément démanteler l’économie de guerre. Sans désarmement effectif, sans contrôle des corridors et sans traçabilité crédible des flux de minerais, l’économie légale sera siphonnée par des structures parallèles qui, elles, n’ont aucune intention de déposer les armes.
Pourquoi parler d’un « acte cosmétique » ?
Cinq éléments expliquent pourquoi la signature du Rwanda à Washington relève surtout du cosmétique :
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Absence d’effet sécuritaire immédiat : après le 27 juin, aucune amélioration mesurable de la protection des civils n’a été constatée ; au contraire, des massacres ont eu lieu en juillet.
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Maintien de l’occupation militaire : la présence RDF et le soutien au M23 demeurent avérés, nécessitant une nouvelle résolution du Conseil de sécurité pour rappeler l’exigence de retrait.
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Exclusion du M23 : négocier sans inclure le belligérant clé revient à construire un édifice sans fondations.
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Économie de guerre intacte : contrôle des sites miniers, taxation des flux, contrebande organisée vers le Rwanda.
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Séquençage irréaliste : la simultanéité « retrait RDF / neutralisation FDLR » est impraticable dans les conditions actuelles.
Que faudrait-il pour passer du cosmétique au concret ?
Cinq conditions minimales s’imposent :
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Un mécanisme de vérification robuste et transparent, incluant la géolocalisation indépendante des troupes RDF et M23, la publication régulière de cartes de position, et des sanctions automatiques en cas de manquement.
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La neutralisation effective des rentes de guerre, avec un contrôle douanier renforcé, une certification stricte des minerais (3T et or), et des poursuites contre les sociétés impliquées dans la contrebande.
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L’inclusion encadrée du M23 dans une séquence DDR (désarmement, démobilisation, réintégration), conditionnée à des garanties sécuritaires.
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La protection immédiate des civils, par la mise en place de zones de sécurité, des patrouilles robustes et un appui accru aux humanitaires.
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Un calendrier clair de retrait et de restitution de l’autorité de l’État, incluant le retour de l’administration congolaise, la réouverture des services publics et l’assainissement de la gouvernance locale.
À ces conditions doit s’ajouter une mesure désormais incontournable : l’application stricte de la dernière résolution du Conseil de sécurité exigeant le retrait immédiat des RDF, ainsi que l’instauration d’un embargo sur les armes contre le Rwanda. Tant que Kigali disposera de la capacité matérielle de soutenir le M23, les résolutions resteront lettre morte.
Conclusion
La signature de l’accord de Washington par le Rwanda a évité le vide diplomatique, mais elle demeure avant tout un acte cosmétique. Les RDF continuent d’opérer en RDC, le M23 perpétue des exactions et consolide son administration parallèle, tandis que les ressources minières de la RDC alimentent l’économie de guerre.
Cet accord agit davantage comme un parapluie diplomatique pour le Rwanda, lui permettant de donner l’illusion d’une coopération tout en poursuivant son agenda militaire et économique dans l’est du Congo.
La communauté internationale ne peut se contenter d’applaudir ce simulacre. Elle doit veiller à la mise en œuvre stricte de la dernière résolution du Conseil de sécurité, imposer un embargo sur les armes contre Kigali, et garantir des mécanismes de vérification intrusifs.
Autrement dit, seule une combinaison de diplomatie, de sanctions efficaces et de pressions concrètes peut transformer l’acte cosmétique de Washington en un véritable processus de paix durable pour les populations meurtries du Kivu.
Sam Nkumi, Chris Thomson &
Gilberte Bienvenue
African Rights Alliance
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