Pourquoi la paix et la stabilité ont-elles été si difficiles à atteindre dans la région des Grands Lacs au cours des 30 dernières années ?
Depuis plus de trois décennies, la région des Grands Lacs d'Afrique — en particulier le Rwanda, l'Ouganda, le Burundi et l'est de la République démocratique du Congo (RDC) — peine à instaurer une paix véritable, une stabilité durable et une coopération régionale efficace. Les conflits ont éclaté à plusieurs reprises, les frontières ont été militarisées et des millions de civils ont été déplacés ou tués. Bien que les facteurs historiques et l'héritage colonial contribuent largement à cette instabilité, l'échec prolongé des efforts de paix ne peut être compris sans analyser le comportement des dirigeants contemporains, les structures étatiques et la géopolitique régionale. L'autoritarisme, la longévité excessive au pouvoir, le favoritisme ethnique, le clientélisme, le népotisme et la poursuite égoïste d'intérêts personnels et familiaux ont joué un rôle central dans la perpétuation de l'instabilité. Parallèlement, l'exploitation illégale des ressources naturelles, la montée de groupes armés de type proxy et le soutien de puissances internationales à des dirigeants servant leurs intérêts — plutôt que ceux des citoyens — ont aggravé la crise.
Cet essai analyse pourquoi la paix a été si difficile à atteindre, en se concentrant sur les défaillances de gouvernance, la politique de puissance régionale et les facteurs structurels de conflit ancrés de longue date.
1. Le maintien prolongé au pouvoir et la crise du leadership
L'un des obstacles les plus fondamentaux à la paix dans la région des Grands Lacs est la persistance de dirigeants qui refusent de céder le pouvoir. Le leadership politique est devenu personnalisé, enraciné et maintenu grâce à la manipulation des constitutions, à la militarisation et à la répression. Deux exemples particulièrement illustratifs sont Yoweri Kaguta Museveni en Ouganda et Paul Kagame au Rwanda.
Museveni : près de 40 ans au pouvoir
Museveni est arrivé au pouvoir en 1986 après une guerre de guérilla, se présentant comme un libérateur engagé en faveur de la démocratie, de la sécurité et de la transformation sociale. Mais, au fil du temps, il a adopté la même trajectoire autoritaire qu'il dénonçait jadis :
- Révision répétée de la constitution pour supprimer les limites de mandats (2005) puis les limites d'âge (2017)
- Concentration du pouvoir entre la présidence et les appareils sécuritaires
- Affaiblissement du parlement et du système judiciaire
- Répression violente des mouvements d'opposition tels que le FDC et le mouvement People Power/NUP
- Création d'un système politique dominé par les élites militaires et les loyalistes personnels
Le long règne de Museveni est devenu de plus en plus personnel et dynastique — conçu pour assurer la succession de son fils, le général Muhoozi Kainerugaba. Au lieu d'agir comme un homme d'État régional promoteur de paix, Museveni est devenu profondément intéressé par la survie politique interne. Ses interventions militaires dans la région — soutien à des groupes armés en RDC à la fin des années 1990, affrontements contre le Rwanda à Kisangani, ou implications au Sud-Soudan — ont été motivées davantage par l'influence régionale et le gain économique que par la construction de la paix.
L'Ouganda demeure sous son contrôle personnel, et son régime n'a plus l'autorité morale ni la crédibilité pour agir comme facilitateur impartial de paix. Son héritage est désormais marqué par l'autopréservation, la militarisation et la succession familiale, plutôt que par la stabilité régionale.
Kagame : un autre dirigeant préparant une succession dynastique
Le Rwanda suit une trajectoire similaire. Kagame est au pouvoir de facto depuis 1994 et officiellement depuis 2000. Malgré certains progrès économiques qui profitent essentiellement à un petit cercle du régime, Kagame a construit un État autoritaire fortement centralisé et strictement contrôlé. Comme Museveni, il a supprimé les limites de mandats et s'est positionné pour rester au pouvoir indéfiniment. Le système politique est caractérisé par :
- Un pluralisme politique extrêmement limité
- Une répression systémique de la dissidence
- Une surveillance permanente et une politique d'exil forcé
- Une domination des élites liées au FPR
Kagame prépare également un modèle dynastique, ses enfants — notamment Ange Kagame — jouant un rôle politique de plus en plus visible. Cette tendance reflète la même personnalisation du pouvoir observée chez Museveni.
De tels modèles de leadership créent une profonde frustration chez les citoyens, qui ne voient aucune voie légitime pour la participation politique, la transition du pouvoir ou la reddition de comptes. Cette fermeture politique nourrit une instabilité durable.
2. Favoritisme ethnique, clientélisme et népotisme
Dans toute la région, le pouvoir politique repose souvent non pas sur la citoyenneté ou le mérite, mais sur l'appartenance ethnique et la loyauté envers les élites dirigeantes. Ce phénomène est particulièrement visible au Rwanda, au Burundi, en Ouganda et dans certaines zones de l'est de la RDC. Les systèmes politiques fondés sur le favoritisme ethnique entraînent :
- L'exclusion de larges segments de la population
- L'enracinement d'inégalités profondes
- La méfiance entre communautés
- La multiplication de griefs qui alimentent les mobilisations armées
Au Rwanda, le pouvoir demeure fortement concentré entre les mains d'un petit groupe d'élites, majoritairement issues d'une même région et d'un même réseau politico-historique. En Ouganda, la hiérarchie politique et militaire est dominée par des personnes provenant de la région occidentale de Museveni et par ses proches. Au Burundi, la compétition politique entre Hutu et Tutsi reste une source centrale de tension.
Le clientélisme — où les dirigeants échangent ressources, protection ou postes contre des loyautés politiques — renforce ces dynamiques. Le népotisme garantit que les membres de la famille occupent des positions clés dans les appareils sécuritaires, économiques ou diplomatiques.
Ces systèmes de gouvernance affaiblissent l'unité nationale, érodent la confiance envers les institutions, et créent un terrain fertile pour la rébellion lorsque les groupes exclus cherchent l'accès au pouvoir par la force.
3. L'exploitation illégale des ressources naturelles et les économies de guerre
La région des Grands Lacs, en particulier l'est de la RDC, abrite certains des gisements les plus riches au monde de coltan, cobalt, or, étain, diamants et bois. Depuis les années 1990, ces ressources sont au cœur des conflits. Au lieu de bénéficier aux populations locales, les ressources sont devenues :
- Une source d'enrichissement illicite
- Une motivation pour des interventions militaires étrangères
- Un moyen de financer des groupes armés
- Un moteur de corruption pour les responsables étatiques
Le Rwanda, l'Ouganda et d'autres acteurs régionaux ont été régulièrement accusés — par les experts de l'ONU, les ONG de défense des droits humains et divers organismes internationaux — de tirer profit de l'exploitation illégale des minerais congolais. Pendant les première et deuxième guerres du Congo, des officiers militaires rwandais et ougandais, ainsi que des groupes rebelles alliés, ont participé à l'extraction systématique et au commerce de ces ressources.
Cette économie de guerre n'a pas disparu. Au contraire, elle s'est sophistiquée :
- Exportation d'or extrait en RDC via Kigali ou Kampala
- Financement de milices locales pour contrôler des zones minières
- Taxation des mineurs artisanaux
- Utilisation d'entreprises liées aux élites politiques pour transporter et vendre les minerais
Tant que la guerre rapporte plus que la paix, les élites régionales n'ont aucun intérêt à soutenir une résolution durable des conflits. L'exploitation illégale alimente la création de groupes armés, sabote les accords de paix, et maintient l'est du Congo dans une insécurité permanente.
4. Les guerres par procuration et la formation de groupes armés
Un autre obstacle majeur à la paix est la pratique répandue de soutenir des groupes armés dans les pays voisins afin de promouvoir ses propres intérêts stratégiques. Quelques exemples :
- Le Rwanda soutenant l'AFDL (1996–1997), le RCD (1998–2003) et plus récemment le M23
- L'Ouganda soutenant différents groupes rebelles en RDC durant les deux guerres du Congo
- Le Burundi et le Rwanda s'accusant mutuellement de financer des groupes armés d'opposition
- Les élites congolaises finançant des milices tribales pour conserver leur influence politique et économique
Le recours à des forces par procuration déstabilise toute la région, entraîne des déplacements massifs et détruit la confiance entre États. Même lorsque des accords de paix sont signés, ces forces restent des instruments de pression, rendant la paix fragile.
Quand les pays se livrent à des guerres indirectes par l'intermédiaire de milices, la région se retrouve piégée dans un cycle sans fin d'accusations, de représailles et de méfiance. Les institutions régionales — Union africaine, CIRGL, EAC — disposent de peu d'autorité réelle pour imposer la responsabilité politique, permettant ainsi aux gouvernements de nier leur implication tout en continuant de soutenir des groupes armés.
5. Les puissances internationales privilégient leurs propres intérêts
Les acteurs internationaux — pays occidentaux, Nations Unies et grandes puissances — ont joué un rôle contradictoire dans la région. Au lieu de soutenir la gouvernance démocratique et les droits humains, beaucoup ont appuyé des dirigeants autoritaires qui servent leurs intérêts géopolitiques et sécuritaires.
Paul Kagame en est un exemple particulièrement frappant. Malgré des rapports crédibles faisant état de répression politique, d'implication dans les conflits de la RDC et de violations des droits humains, le Rwanda bénéficie d'un soutien politique et financier important des États-Unis, du Royaume-Uni et d'autres alliés occidentaux. Ces puissances considèrent le Rwanda comme :
- un partenaire sécuritaire,
- une force stabilisatrice,
- un allié régional,
- un modèle de réformes économiques.
Tant que Kagame répond aux intérêts stratégiques de ces États — participation aux opérations de maintien de la paix, coopération en matière de lutte contre le terrorisme, contrôle des flux migratoires — son autoritarisme interne et ses interventions régionales sont largement tolérés.
De même, Museveni est resté au pouvoir en grande partie parce qu'il sert les intérêts sécuritaires et diplomatiques des États-Unis et de l'Europe. L'Ouganda est un acteur clé dans les opérations de maintien de la paix en Somalie (AMISOM/ATMIS), un partenaire important des services de renseignement occidentaux et une puissance militaire régionale. Les gouvernements occidentaux privilégient ainsi la « stabilité » offerte par Museveni plutôt que la démocratie en Ouganda.
Ce soutien externe encourage les dirigeants à ignorer les droits humains, à réprimer la dissidence et à se maintenir au pouvoir, car ils savent qu'ils ne feront pas face à des conséquences significatives au niveau international.
6. L'accumulation de frustrations et l'instabilité à long terme
Tous ces facteurs — leadership égoïste, autoritarisme, exclusion ethnique, exploitation des ressources et guerres par procuration — créent une profonde frustration parmi les populations. Lorsque les citoyens se sentent :
- exclus de la vie politique,
- privés d'opportunités économiques,
- exploités par des dirigeants qui servent des intérêts étrangers,
- réprimés lorsqu'ils expriment leur opinion,
- témoins de l'utilisation de leurs pays comme champs de bataille pour des rivalités régionales,
ils perdent confiance dans les processus politiques pacifiques. Cette situation favorise :
- la radicalisation des jeunes,
- la mobilisation ethnique,
- la création de nouveaux groupes rebelles,
- les protestations violemment réprimées,
- les cycles de vengeance entre communautés.
La région se retrouve ainsi piégée dans un cercle où l'instabilité nourrit l'autoritarisme, et l'autoritarisme engendre de nouvelles formes d'instabilité.
7.Absence de démocratie, de droits humains et de liberté de réunion
Un autre facteur majeur compromettant la paix et la stabilité dans la région des Grands Lacs est l'absence systémique de démocratie, de respect des droits humains et de liberté de rassemblement. Les gouvernements du Rwanda, de l'Ouganda, du Burundi et, dans une certaine mesure, de la RDC, répriment régulièrement l'opposition politique, les médias indépendants et la société civile.
Au Rwanda, par exemple, la dirigeante de l'opposition Victoire Ingabire Umuhoza a passé huit années en prison après son retour d'exil en 2010 pour défier le gouvernement par des moyens pacifiques. De nombreux autres militants, journalistes et opposants — tels que Déogratias Mushayidi, Bernard Ntaganda, Kizito Mihigo et des membres des FDU-Inkingi — ont été emprisonnés, ont disparu ou ont été victimes d'intimidation.
D'autres ont été assassinés à l'intérieur du Rwanda ou à l'étranger, notamment en Afrique du Sud, au Mozambique, au Kenya ou en Ouganda — ciblant souvent d'anciens responsables du renseignement, des critiques politiques ou des défecteurs. Un schéma similaire est observable en Ouganda, où la répression s'est intensifiée contre des mouvements tels que NUP, les manifestants pacifiques étant régulièrement battus, arrêtés ou tués par les forces de sécurité.
Dans toute la région, les manifestations pacifiques sont interdites ou violemment dispersées, en violation des droits constitutionnels, empêchant les citoyens d'exprimer leurs préoccupations ou de participer au débat public. Sans liberté d'expression, de compétition politique et de rassemblement, les frustrations s'accumulent, poussant certains groupes à rechercher le changement par des moyens violents ou extralégaux. L'absence d'espace démocratique devient ainsi un facteur direct d'instabilité politique, de tensions sociales et de cycles récurrents de conflit.
Solutions à l'instabilité persistante dans la région des Grands Lacs
Résoudre les crises complexes de la région des Grands Lacs nécessite une combinaison de réformes politiques, de coopération régionale, de transformation économique, de renforcement institutionnel et de responsabilité internationale. Aucune mesure isolée ne peut instaurer la paix, car les causes de l'instabilité sont interconnectées : l'autoritarisme alimente les conflits régionaux, l'exploitation illégale des ressources finance les groupes armés, et l'absence de justice entretient des cycles de vengeance.
Voici les principales solutions nécessaires pour bâtir une paix durable.
1. Réformes démocratiques et respect des libertés politiques
a. Restaurer les limites de mandats et mettre fin à la culture des dirigeants à vie
Mettre fin à la longévité au pouvoir est essentiel. Les constitutions doivent être respectées et non modifiées pour servir les intérêts de dirigeants individuels. La transition pacifique du pouvoir doit devenir une norme au Rwanda, en Ouganda, au Burundi et en RDC.
b. Libérer les prisonniers politiques et protéger la liberté d'expression
Les leaders de l'opposition comme Victoire Ingabire, ainsi que les journalistes, militants et membres de la société civile, doivent être libérés et autorisés à participer librement à la vie politique.
c. Autoriser les manifestations pacifiques et garantir la liberté de la presse
La démocratie ne peut exister sans débat public. Les gouvernements doivent cesser de réprimer les protestations pacifiques et arrêter de criminaliser la dissidence. Les médias indépendants doivent pouvoir fonctionner sans intimidation.
d. Renforcer les parlements, le système judiciaire et la gouvernance locale
Un équilibre des pouvoirs limite la dérive autoritaire et permet de résoudre les griefs avant qu'ils ne dégénèrent.
2. Lutter contre le favoritisme ethnique, le clientélisme et le népotisme
a. Construire des gouvernements inclusifs
Les États doivent représenter toutes les communautés — et non pas seulement un groupe ethnique, une région ou un réseau politique.
b. Créer des systèmes transparents de recrutement dans la fonction publique
Les postes dans l'armée, la police, les ministères et les entreprises publiques doivent être attribués selon le mérite, et non selon l'appartenance ethnique ou la loyauté envers le régime.
c. Réformer les institutions sécuritaires
Les forces de sécurité doivent servir la nation entière — et non un groupe ethnique ou un dirigeant individuel.
Ces mesures réduisent les griefs de long terme et restaurent la confiance entre les communautés.
3. Réformes économiques et développement équitable
a. Créer des emplois, particulièrement pour les jeunes
Le chômage alimente le recrutement dans les groupes rebelles et les réseaux criminels. Investir dans l'agriculture, l'énergie, la technologie et l'industrie est essentiel.
b. Réduire la corruption et assurer une transparence financière
Les ressources publiques doivent servir les citoyens, et non enrichir les élites.
c. Promouvoir un développement équilibré entre les régions
Lorsque certaines régions prospèrent tandis que d'autres sont marginalisées, des ressentiments apparaissent et alimentent les conflits.
4. Mettre fin à l'exploitation illégale des ressources naturelles
a. Réguler et formaliser le secteur minier
Les gouvernements de la région — particulièrement la RDC — doivent formaliser l'exploitation artisanale, instaurer une taxation transparente et éliminer le contrôle des sites miniers par les chefs de guerre.
b. Imposer des sanctions aux entreprises impliquées dans le commerce illicite des minerais
Les sanctions doivent viser :
- les officiers de l'armée,
- les hommes d'affaires influents,
- les élites politiques,
- les multinationales complices.
c. Mettre en place une certification régionale des minerais
Un mécanisme solide est nécessaire pour tracer l'origine des minerais et stopper la contrebande via les pays voisins.
Mettre fin à cette économie de guerre est l'une des conditions essentielles de la paix.
5. Mettre fin aux guerres par procuration et au soutien aux groupes armés
a. Appliquer strictement les accords régionaux
La CIRGL, l'Union africaine et la Communauté d'Afrique de l'Est doivent instaurer des sanctions lorsque des États soutiennent des groupes armés tels que le M23, les factions de l'ADF, RED-Tabara, les FDLR restantes, les Mai-Mai, etc.
b. Renforcer les contrôles frontaliers et la coopération en matière de renseignement
Des patrouilles conjointes et un partage d'informations sont essentiels pour démanteler les réseaux armés.
c. Mettre en place des programmes de DDR (désarmement, démobilisation et réintégration)
Les anciens combattants doivent être réintégrés dans la société afin d'éviter la reconstitution de milices.
d. Cesser d'utiliser les réfugiés comme armes politiques
Les États doivent garantir la protection des réfugiés et arrêter d'infiltrer les camps de réfugiés avec des combattants ou des agents politiques.
6. Justice, responsabilité et réconciliation
a. Créer des tribunaux régionaux ou des cours hybrides
L'impunité est l'une des causes majeures de la violence récurrente. Les responsables de massacres, d'assassinats, d'exploitation illégale ou de répression doivent être poursuivis — quel que soit leur rang.
b. Mettre en place des processus de vérité et réconciliation
Les communautés doivent pouvoir s'exprimer sur :
- les crimes de génocide,
- les massacres,
- les violences de représailles,
- les persécutions ethniques.
Sans vérité, aucune réconciliation durable n'est possible.
c. Protéger les témoins et les victimes
Beaucoup craignent des représailles. Des mécanismes solides de protection sont indispensables pour que la justice puisse fonctionner.
7. Renforcer les institutions régionales et la coopération
a. Réformer l'Union africaine, la CAE et la CIRGL
Ces institutions manquent souvent de pouvoir réel. Elles ont besoin de :
- mécanismes d'application contraignants,
- capacités d'intervention rapide,
- sanctions claires contre les États qui alimentent les conflits.
b. Promouvoir des projets de développement communs
Les routes, réseaux électriques, chemins de fer et infrastructures commerciales peuvent créer une interdépendance économique qui réduit les incitations à la guerre.
c. Donner plus de poids à la société civile régionale
Les acteurs locaux — organisations de paix, groupes de défense des droits humains, mouvements de jeunes et réseaux de femmes — doivent participer aux processus de décision, et non pas uniquement les gouvernements.
8. Les acteurs internationaux doivent changer d'approche
a. Cesser de soutenir les régimes autoritaires sous prétexte d'intérêts stratégiques
Les puissances occidentales doivent mettre fin au soutien inconditionnel à des régimes dictatoriaux qui répriment leur population et déstabilisent leurs voisins.
b. Promouvoir des normes cohérentes en matière de droits humains
Les mêmes exigences doivent s'appliquer au Rwanda, à l'Ouganda, au Burundi, à la RDC et ailleurs.
c. Soutenir les transitions démocratiques, pas seulement la "stabilité sécuritaire"
La stabilité à court terme, lorsqu'elle repose sur l'autoritarisme, conduit à des conflits à long terme.
d. Rendre les missions de maintien de la paix plus efficaces
Les opérations de l'ONU doivent :
- mieux protéger les civils,
- perturber le financement des groupes armés,
- coopérer avec les mécanismes régionaux,
- exercer une pression réelle sur les gouvernements qui soutiennent des milices.
9. Autonomiser la jeunesse et la société civile
a. Offrir éducation, compétences et opportunités d'emploi
Dans une région où plus de 60 % de la population a moins de 25 ans, la paix est impossible si les jeunes restent marginalisés.
b. Soutenir les initiatives locales de paix
Le dialogue communautaire, la police de proximité et les mécanismes locaux de résolution des conflits peuvent réduire les violences au niveau local.
c. Protéger les journalistes, activistes et défenseurs des droits humains
Une société civile dynamique est essentielle pour dénoncer la corruption, les abus de pouvoir et les violations des droits.
10. Promouvoir une guérison sociale et culturelle à long terme
a. Réduire les discours de haine, la propagande ethnique et la manipulation de l'histoire
Les systèmes éducatifs doivent transmettre une histoire inclusive, et non des récits de supériorité ethnique ou des versions déformées du passé.
b. Soutenir les programmes de guérison psychologique et de prise en charge des traumatismes
Des millions de personnes dans la région ont vécu la guerre, le génocide, le viol, les déplacements forcés et la répression. Sans prise en charge, les traumatismes deviennent sources de nouvelles violences.
11. Renforcer la CEPGL (Communauté Économique des Pays des Grands Lacs)
La relance et le renforcement de la CEPGL constituent une solution essentielle mais souvent négligée. Cette organisation, regroupant le Rwanda, le Burundi et la RDC, fut créée en 1976 pour promouvoir l'intégration économique, la libre circulation des personnes, les infrastructures communes et la coopération sécuritaire.
Cependant, des décennies de tensions politiques, de guerres et de méfiance ont presque paralysé cette institution. Sa revitalisation offrirait un levier puissant pour reconstruire la coopération régionale et réduire les conflits.
Renforcer la CEPGL implique :
- restaurer les dialogues politiques réguliers ;
- réactiver les institutions conjointes comme la BDGL, l'EGL et l'IRAZ ;
- mettre en place des mécanismes transparents de commerce transfrontalier ;
- développer des mesures conjointes de sécurité aux frontières pour empêcher les mouvements de groupes armés.
Une CEPGL fonctionnelle permettrait de rétablir la confiance entre États, de réduire les déséquilibres économiques et de limiter la militarisation des frontières. Bien soutenue, elle pourrait devenir l'un des piliers les plus importants d'une paix durable.
12. Les ambitions régionales du Rwanda et son rôle auto-proclamé de "protecteur de tous les Tutsi"
Un autre facteur essentiel d'instabilité dans la région est l'ambition constante du Rwanda de projeter sa puissance au-delà de ses frontières, notamment dans l'est de la RDC. Depuis 1996, le Rwanda justifie ses interventions militaires en invoquant la protection contre les FDLR, mais aussi un devoir auto-proclamé de protéger les populations tutsies dans toute la région — en RDC, au Burundi, en Ouganda ou ailleurs.
Cette doctrine non écrite mais régulièrement mobilisée par les autorités rwandaises lui permet de se présenter comme le gardien légitime des Tutsi, y compris les Banyamulenge et autres communautés rwandophones du Kivu.
Si la protection des minorités est légitime, l'usage politique de ce discours suscite une profonde méfiance dans la région. Beaucoup de gouvernements considèrent ce rôle comme un prétexte à :
- des interventions militaires,
- la recherche d'influence géopolitique,
- le contrôle de territoires stratégiques et de zones riches en minerais.
Des rapports répétés de l'ONU ont documenté l'appui du Rwanda à des groupes comme l'AFDL, le RCD et le M23, accusé de massacres, de déplacements forcés et d'administration parallèle dans le Nord-Kivu.
Cette politique alimente :
- les tensions ethniques,
- l'hostilité contre les Tutsi,
- la mobilisation armée,
- la méfiance durable entre États.
Une paix durable exige de démanteler cette logique de "protection ethnique transfrontalière" et de la remplacer par des accords de sécurité régionaux protégeant toutes les communautés de manière équitable.
Le Rwanda n'a aucun droit moral ou légal de tuer ou de déplacer des populations dans d'autres pays
Le Rwanda justifie souvent ses opérations militaires, incursions transfrontalières et soutiens à des groupes armés en prétendant protéger les minorités tutsies, notamment dans l'est de la RDC. Or, aucun État n'a le droit de tuer, d'envahir ou de déplacer des populations dans un autre pays sous prétexte de protection ethnique.
Le droit international est clair :
- la souveraineté et l'intégrité territoriale des États doivent être respectées ;
- les civils sont protégés par le droit humanitaire international ;
- la doctrine de la "Responsabilité de protéger" (R2P) ne peut être invoquée unilatéralement.
L'idée que le Rwanda se serait attribué une "licence" pour agir en protecteur militaire des Tutsi dans toute la région est juridiquement infondée et politiquement dangereuse. Elle viole :
- la Charte des Nations Unies,
- l'Acte constitutif de l'Union africaine,
- les Conventions de Genève.
Les interventions unilatérales du Rwanda ont causé d'immenses souffrances, attisé les tensions ethniques et nourri des cycles de vengeance. Aucune nation ne peut s'ériger en puissance ethnique transfrontalière en dehors du droit international.
Conclusion : Une transformation de long terme est indispensable
La région des Grands Lacs n'a pas réussi à instaurer la paix depuis 30 ans parce que ses structures politiques, économiques et sécuritaires sont conçues pour préserver le pouvoir des élites dirigeantes plutôt que pour protéger le bien-être des citoyens. Les dirigeants qui s'accrochent au pouvoir — tels que Museveni et Kagame — gouvernent à travers des réseaux de patronage, de favoritisme ethnique et de personnalisation de l'État. Leurs stratégies politiques égoïstes minent la confiance populaire, affaiblissent les institutions démocratiques et privent les citoyens de toute voie pacifique de changement politique.
L'exploitation illégale des ressources naturelles et l'usage de groupes armés par procuration aggravent encore la crise, créant des économies de guerre qui profitent à une minorité tout en détruisant des communautés entières. Les puissances internationales qui soutiennent des dirigeants servant leurs intérêts stratégiques, même lorsqu'ils répriment leurs populations et déstabilisent la région, affaiblissent davantage la reddition de comptes et permettent à ces régimes autoritaires d'agir avec impunité.
Tant que le leadership n'évoluera pas, que les institutions ne seront pas crédibles, et que la coopération régionale ne reposera pas sur des principes plutôt que sur des loyautés ethniques ou personnelles, la région des Grands Lacs restera prise dans des cycles récurrents de conflits. La paix ultime nécessitera non seulement de mettre fin aux affrontements armés, mais aussi de démanteler les systèmes politiques et économiques qui tirent profit de l'instabilité.
La paix dans la région des Grands Lacs ne sera jamais obtenue uniquement par des opérations militaires ou des déclarations diplomatiques. Une paix durable exige :
- des transformations démocratiques,
- une gouvernance inclusive,
- des systèmes de justice neutres,
- une équité économique,
- la fin des guerres par procuration,
- la responsabilité pour les violations des droits humains,
- l'honnêteté des partenaires internationaux.
La région doit s'éloigner des politiques de pouvoir personnel, de la manipulation ethnique et du pillage des ressources. Elle doit s'orienter vers un avenir fondé sur des institutions solides, la reddition de comptes et les droits des citoyens. Ce n'est que lorsque les dirigeants placeront l'intérêt de leurs populations au-dessus des intérêts de leurs familles, de leurs clans, de leurs groupes ethniques ou de leurs parrains étrangers que la stabilité pourra véritablement s'établir.
Références
- Reyntjens, Filip. La gouvernance politique dans le Rwanda post-génocide. Cambridge University Press, 2013.
- Prunier, Gérard. La guerre mondiale africaine : Le Congo, le génocide rwandais et la formation d'une catastrophe continentale. Oxford University Press, 2009.
- Mamdani, Mahmood. Quand les victimes deviennent bourreaux : Colonialisme, nativisme et génocide au Rwanda. Princeton University Press, 2001.
- Stearns, Jason. Dancing in the Glory of Monsters : L'effondrement du Congo et la grande guerre africaine. PublicAffairs, 2011.
- Autesserre, Séverine. Troubles au Congo : violences locales et échec du maintien de la paix international. Cambridge University Press, 2010.
- Vlassenroot, Koen & Raeymaekers, Timothy. Conflit et transformation sociale dans l'est de la RDC. Université de Gand, 2004.
- Human Rights Watch (HRW). République démocratique du Congo : crise renouvelée au Nord-Kivu. Rapports multiples (2005–2024).
- HRW. Rwanda : répression transnationale (2014).
- HRW. Ouganda : répression violente de l'opposition (2021).
- Amnesty International. Rwanda : "Nous vous forcerons à avouer" – torture en détention militaire (2017).
- Amnesty International. Ouganda : inquiétudes sur les droits humains avant les élections (2020).
- Nations Unies — Groupe d'experts sur la RDC. Rapports annuels et spéciaux (2001–2024).
– Documentent l'exploitation illégale des ressources, le trafic de minerais, l'implication du Rwanda et de l'Ouganda, et le financement des groupes armés. - Conseil de sécurité des Nations Unies. Rapport final du Panel d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC (S/2002/1146).
- HCR/UNHCR. La crise des réfugiés rwandais au Zaïre : historique et réponse humanitaire (1996–1997).
- ONU – Rapport Mapping. Exercice de cartographie des violations graves des droits humains en RDC (1993–2003) (2010).
- International Crisis Group (ICG). RDC : La crise du Kivu – épreuve pour l'accord de paix (2008).
- ICG. Rwanda – RDC : améliorer les relations (2009).
- ICG. Ouganda : Museveni et le défi de la succession (2016).
- ICG. Rwanda : une transformation politique dangereuse (2022).
- ICG. Restaurer la paix régionale dans les Grands Lacs (2021).
- Département d'État des États-Unis. Rapports annuels sur les droits humains : Rwanda, Ouganda, Burundi, RDC (1998–2024).
- Banque mondiale. Cadre stratégique régional des Grands Lacs (2017).
- Union africaine (UA). Rapports du Conseil de paix et de sécurité sur la région des Grands Lacs.
- Union européenne (UE). Évaluations électorales et rapports sur les droits humains : Rwanda, Ouganda, RDC.
- Documents officiels de la CEPGL. Statuts, chartes et rapports institutionnels (1976–2020).
- BDGL, EGL, IRAZ. Rapports institutionnels des organes de la CEPGL (2000–2023).
- Haskin, Jeanne. L'État tragique du Congo : de la décolonisation à la dictature. Algora Publishing, 2005 (inclut des analyses sur la CEPGL).
- Freedom House. Liberté dans le monde : Rwanda & Ouganda (2000–2024).
- Reporters sans frontières (RSF). Classement mondial de la liberté de la presse : Rwanda/Ouganda (annuel).
- Ingabire, Victoire. Dossiers juridiques et mémoires déposés à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (2017–2020).
- Committee to Protect Journalists (CPJ). Rapports sur les assassinats, disparitions et intimidations de journalistes au Rwanda et en Ouganda.
- Amnesty International. Rwanda : répression au-delà des frontières (2021).
- Rapports de la police et des services de renseignement sud-africains sur l'assassinat du colonel Patrick Karegeya (2014).
- CPJ. Tués en exil : attaques contre les Rwandais à l'étranger (2019).
Préparé par :
Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte Bienvenue
African Rights Alliance, Londres, Royaume-Uni
No comments:
Post a Comment