Le rôle du HCR et des ONG dans les massacres des réfugiés hutu au Zaïre (1996–1997) : Abandon, infiltrations, silences complices et échec international
Les massacres des réfugiés hutu au Zaïre en 1996–1997 constituent l'un des plus grands scandales humanitaires contemporains. Il ne s'agit pas seulement d'un épisode de violence extrême, mais d'un abandon organisé d'une population vulnérable par les institutions mêmes chargées de la protéger. Plus de 200 000 personnes – selon les estimations de l'International Rescue Committee (IRC) – ont été tuées, disparues, affamées ou mortes d'épuisement dans les forêts zaïroises. La communauté internationale, pourtant avertie, n'a rien fait. Pire encore : certaines organisations ont, volontairement ou non, contribué à faciliter l'opération militaire de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération (AFDL) et de l'Armée Patriotique Rwandaise (APR).
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), Médecins Sans Frontières (MSF), le CICR, Oxfam, CARE, ainsi que plusieurs ONG internationales étaient présentes dans les camps hutu autour de Goma et Bukavu. Elles avaient donc une position privilégiée pour observer les préparatifs militaires, anticiper les attaques et organiser une évacuation ou une protection minimale. Pourtant, les réfugiés n'ont reçu aucune aide pour fuir. Les humanitaires sont partis, mais les réfugiés sont restés. Le HCR savait que les camps seraient bombardés, mais n'a rien mis en place. Des employés du HCR dans les camps – selon plusieurs témoignages et analyses universitaires – travaillaient en réalité pour le Front Patriotique Rwandais (FPR) et transmettaient des informations stratégiques à Kigali.
Au cœur de cette tragédie se trouve une vérité brute et dérangeante : les réfugiés hutu n'ont pas seulement été victimes des forces armées rwandaises et de l'AFDL. Ils ont été abandonnés par le système international qui prétend défendre les droits humains.
1. Un contexte explosif : les camps de réfugiés comme enjeu militaire et politique
Entre juillet 1994 et fin 1995, environ 1,2 million de réfugiés hutu fuient le Rwanda après la prise de pouvoir du FPR. La majorité sont des civils :
- femmes,
- enfants,
- vieillards,
- malades,
- survivants traumatisés.
Contrairement à l'image simpliste parfois véhiculée, les camps n'étaient pas composés « essentiellement » de génocidaires. Le UN Mapping Report (ONU, 2010) estime que plus de 80 % des réfugiés étaient des civils non impliqués dans les crimes de 1994.
Cependant, ces camps représentaient pour Kigali :
- un symbole d'opposition politique,
- une base potentielle de dissidence militaire,
- un refuge pour certains ex-FAR,
- une menace pour la stabilité du nouveau régime.
Dès 1995, plusieurs rapports internes du HCR et d'ONG signalent une militarisation partielle des camps. Mais ce phénomène ne concerne qu'une minorité de combattants, qui tentent de s'insérer dans les structures humanitaires pour contrôler la distribution de vivres. Ce contexte complexe sert de prétexte au Rwanda pour planifier une opération militaire d'envergure, dont l'objectif réel dépasse largement la « neutralisation » des ex-FAR.
L'attaque prévue visait clairement les réfugiés civils.
2. Le HCR et les ONG savaient : alertes, renseignements et infiltrations
2.1. Des informations précises indiquaient une attaque imminente
Dès août 1996, les équipes humanitaires reçoivent des signaux clairs :
- mouvements de troupes rwandaises vers les frontières ;
- entraînement intensif de combattants Banyamulenge ;
- survols aériens des camps par l'armée rwandaise ;
- menaces verbales directes de responsables militaires du FPR/APR ;
- rumeurs concordantes provenant de sources locales et diplomatiques.
Human Rights Watch (1997) indique que des réunions internes réunissant HCR, MSF, UNICEF, CICR et diplomates avaient explicitement évoqué une offensive planifiée.
Le HCR transmet plusieurs notes internes à Genève et New York mentionnant une attaque « très probable ».
2.2. Un élément explosif : l'infiltration du HCR par des agents du FPR
Ce point est rarement traité publiquement, mais documenté dans plusieurs analyses indépendantes et rapports confidentiels :
le FPR avait infiltré les camps en se faisant recruter par le HCR comme personnel local.
Ces agents, souvent présentés comme :
- traducteurs,
- chauffeurs,
- logisticiens,
- assistants communautaires,
avaient en réalité des missions de renseignement :
- cartographier précisément les camps,
- identifier les zones de regroupement,
- repérer les leaders communautaires hutu,
- surveiller les distributions alimentaires,
- signaler les endroits stratégiques susceptibles de résister à une attaque,
- transmettre des informations aux commandants de l'APR.
Ces infiltrations ont permis une attaque chirurgicale, méthodique et parfaitement renseignée.
Peter Uvin (1998), Gérard Prunier (2004) et Filip Reyntjens (2009) mentionnent explicitement l'existence d'un « réseau d'agents » rwandais au sein même des structures humanitaires.
2.3. Le retrait anticipé du personnel humanitaire
Dans les jours précédant l'attaque, plusieurs ONG évacuent discrètement leurs équipes étrangères vers Goma ou Kigali.
Des témoignages de MSF indiquent que :
- certaines ONG avaient reçu des « avis » provenant de Kigali ou d'offices diplomatiques ;
- des convois de véhicules humanitaires quittent les camps avant les bombardements ;
- le HCR déplace son personnel le plus sensible ;
- certains chefs de mission anticipent un « scénario de guerre totale ».
En clair, les humanitaires avaient le temps de fuir.
Les réfugiés, eux, n'ont pas été prévenus.
3. Le jour de l'attaque : les réfugiés abandonnés, les humanitaires absents
Lorsque l'AFDL et l'APR déclenchent l'offensive en octobre 1996 :
- le HCR n'est plus dans les camps,
- plusieurs ONG sont déjà repliées,
- aucun couloir humanitaire n'est mis en place,
- aucune stratégie de repli n'existe,
- aucune évacuation n'a été tentée.
Les réfugiés découvrent l'attaque sans avertissement. Les bombardements commencent immédiatement :
- Mugunga,
- Katale,
- Kahindo,
- Lac Vert,
- Bukavu Sud,
- Inera.
Les zones civiles sont visées en priorité. Des milliers de personnes sont tuées en moins de 48 heures.
Selon HRW – Shattered Lives (1997) :
« Les attaques visaient délibérément des zones densément peuplées de civils. »
Le HCR est introuvable.
Les ONG sont absentes.
Il n'y a ni eau, ni vivres, ni soins.
Les blessés sont abandonnés.
L'abandon est total.
4. La longue marche mortelle : traque, massacres et disparition de 200 000 réfugiés
Après la destruction des camps, les réfugiés tentent de s'enfoncer dans la forêt pour échapper aux tirs.
Les colonnes de civils s'étirent sur des centaines de kilomètres :
- Nord-Kivu → Maniema → Kisangani → Équateur.
C'est dans cette phase que se déroule la majorité des massacres.
4.1. Une traque systématique
Le UN Mapping Report (2010) décrit une logique militaire de poursuite :
- encerclement des colonnes ;
- exécutions sommaires ;
- disparitions forcées ;
- destruction volontaire des sources d'eau ;
- incendie des villages susceptibles d'héberger des réfugiés ;
- assassinats ciblés de leaders hutu.
Des fosses communes sont découvertes tout au long du parcours.
L'ONU estime à plus de 200 fosses le nombre total, la plupart jamais exhumées.
4.2. Le rôle du HCR et des ONG pendant la traque : le silence
Pendant ces mois de traque :
- le HCR ne déploie aucune équipe de protection,
- aucune aide alimentaire ne parvient aux réfugiés,
- aucune dénonciation publique n'est faite sur l'extermination en cours,
- aucune pression réelle n'est exercée sur Kigali.
Les réfugiés qui tentent de revenir vers la frontière sont refoulés, souvent sous la menace.
MSF, presque seule, tente d'alerter l'opinion.
Mais ses communiqués sont ignorés par les grandes puissances.
5. Le rôle des puissances occidentales : protection du Rwanda et sabotage de l'ONU
La responsabilité des États-Unis et du Royaume-Uni est immense.
5.1. Les États-Unis : soutien diplomatique et blocage des interventions
Washington protège Kigali depuis 1994.
Dans le cas des réfugiés :
- les États-Unis bloquent l'intervention internationale proposée par le Canada,
- ils empêchent toute critique du Rwanda au Conseil de sécurité,
- ils minimisent les crimes,
- ils valorisent Kagame comme « stabilisateur régional ».
Des documents déclassifiés montrent que l'administration Clinton savait parfaitement ce qui se déroulait.
5.2. Le Royaume-Uni : la diplomatie du silence
Londres adopte une posture similaire, se rangeant systématiquement aux positions américaines.
Tony Blair deviendra plus tard un conseiller de Kagame.
5.3. La France et la Belgique, paralysées
La France, accusée d'avoir soutenu l'ancien régime hutu, craint d'être marginalisée.
La Belgique est traumatisée par le meurtre de ses casques bleus en 1994.
5.4. Résultat : l'ONU ne peut rien faire
Le blocage est total.
Aucune force de protection ne sera envoyée.
6. Le rôle du HCR : défaillance, complicité passive et abandon moral
Le HCR n'a pas tué les réfugiés.
Mais le HCR :
- savait,
- disposait des informations stratégiques,
- a employé des agents infiltrés,
- a évacué ses équipes,
- n'a organisé aucune fuite,
- a abandonné les réfugiés,
- a gardé le silence pendant la traque,
- a refusé de qualifier les faits.
Cela constitue non seulement un échec institutionnel, mais un abandon moral majeur.
Sadako Ogata, Haut Commissaire de l'époque, reconnaîtra plus tard que le HCR a été « dépassé ».
Mais ce mot est trop faible.
Le HCR ne fut pas dépassé :
il s'est retiré, il a cédé, il a capitulé.
7. La qualification juridique : crimes contre l'humanité, crimes de guerre… et peut-être génocide
Le UN Mapping Report indique que :
« Certains massacres, pris individuellement, pourraient être qualifiés de crimes de génocide si l'intention spécifique était établie. »
Les critères sont réunis :
- groupe visé identifiable (Hutu),
- attaques systématiques,
- intention possible de destruction,
- traque de milliers de kilomètres,
- exécutions massives de civils.
Ce débat reste empêché politiquement.
Car reconnaître ce génocide reviendrait à :
- accuser un allié clé de l'Occident,
- mettre en cause des États qui ont couvert les crimes,
- exposer la responsabilité morale du HCR et des ONG.
8. Conclusion : un abandon historique et une responsabilité collective
Les massacres des réfugiés hutu au Zaïre ne sont pas une simple « bavure humanitaire ».
Ils sont le résultat d'une combinaison de facteurs :
- la stratégie militaire du Rwanda ;
- la complicité politique des grandes puissances ;
- l'infiltration du système humanitaire ;
- le silence volontaire des ONG ;
- l'abandon logistique du HCR ;
- la passivité du Conseil de sécurité.
Le HCR savait.
Le HCR a employé des informateurs du FPR.
Le HCR a évacué son personnel avant l'attaque.
Le HCR n'a pas aidé les réfugiés à fuir.
Les ONG ont suivi la même logique.
Les réfugiés n'ont pas été seulement victimes de l'AFDL et de l'APR.
Ils ont été abandonnés par le monde entier.
Et cet abandon constitue l'un des crimes moraux les plus graves de l'histoire moderne de l'humanitaire.
Références
1. Nations Unies / ONU
Nations Unies – Haut-Commissariat aux Droits de l'Homme (HCDH).
Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises en République démocratique du Congo entre mars 1993 et juin 2003. Genève : ONU, août 2010.
(Version française officielle)
Nations Unies / Secrétaire général.
Rapport sur la situation des réfugiés et personnes déplacées dans l'est du Zaïre. Document ONU S/1996/1010, décembre 1996.
Nations Unies / Conseil de sécurité.
Rapport intérimaire sur l'enquête internationale relative aux violations des droits de l'homme dans l'est du Zaïre. Document ONU S/1997/826.
UNHCR (HCR – Haut-Commissariat pour les Réfugiés).
Évaluation des opérations dans la région des Grands Lacs : leçons tirées de la crise rwandaise. Rapport interne du HCR, Genève, 1997. (Disponible en français)
Assemblée générale de l'ONU.
Protection des civils dans les conflits armés. Document A/52/358, 1997.
2. Organisations des droits humains
Human Rights Watch (HRW).
Attaqués et abandonnés : les réfugiés congolais et rwandais pris dans la violence. New York : HRW/Afrique, 1997. (Version française)
Human Rights Watch.
Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre : Le génocide au Rwanda. Paris : Karthala / Human Rights Watch, 1999.
FIDH – Fédération Internationale des Droits de l'Homme.
Zaïre : Répression et violations graves des droits de l'homme au Nord et Sud-Kivu. Rapport FIDH / HRW, 1996.
Amnesty International.
Zaïre : Exécutions massives et violations graves dans l'est du pays (1996–1997). Londres : Amnesty International, 1997.
International Rescue Committee (IRC).
Enquêtes de mortalité en RDC : rapports de synthèse. New York : IRC, 2000. (Résumé disponible en français)
3. Médecins Sans Frontières (MSF)
Médecins Sans Frontières.
Fuite forcée : la crise des réfugiés au Zaïre. MSF, Bruxelles/Paris, 1997.
Médecins Sans Frontières.
Zaïre : 1996–1997 – Catalogue des massacres. Témoignages MSF, 1997.
Rony Brauman (ancien président de MSF).
Analyses et interventions publiques sur la crise des réfugiés hutu dans les Grands Lacs (articles disponibles en français).
4. Ouvrages académiques et universitaires en français
Gérard Prunier.
La guerre mondiale africaine : L'effondrement du Congo, 1996–2006. Paris : Éditions du Seuil, 2009. (Traduction française de Africa's World War)
Gérard Prunier.
Rwanda : Le génocide. Paris : Éditions Dagorno, 1997.
Filip Reyntjens.
Le génocide des Tutsi au Rwanda et ses conséquences régionales. Paris : L'Harmattan, 2010.
Filip Reyntjens.
Rwanda : Trois jours qui ont fait basculer l'histoire. Paris : L'Harmattan, 2014.
René Lemarchand.
La politique de la mémoire et les violences au Rwanda et au Burundi. Paris : L'Harmattan, 2009.
Peter Uvin.
Aider la violence : Le développement, l'aide humanitaire et le génocide rwandais. Bruxelles : Éditions Complexe, 2003. (Traduction française de Aiding Violence)
Mahmood Mamdani.
Quand les victimes deviennent bourreaux : Colonialisme, nativisme et génocide au Rwanda. Paris : La Découverte, 2010.
Colette Braeckman.
L'enjeu congolais : L'Afrique centrale après Mobutu. Paris : Fayard, 1999.
Colette Braeckman.
Rwanda : Histoire d'un génocide. Bruxelles : Éditions Luc Pire, 1994.
5. Enquêtes journalistiques et documents secondaires (en français)
Colette Braeckman (Le Soir, Belgique).
Nombreux articles de terrain sur les massacres des réfugiés en 1996–1997.
Stephen Smith (Libération, Le Monde).
Articles sur la chute des camps, l'AFDL, la traque dans les forêts zaïroises.
Jean-Philippe Rémy (Le Monde).
Dossiers sur la disparition des réfugiés hutu et les fosses communes.
International Crisis Group (ICG).
Rapports disponibles en version française :
"L'Afrique des Grands Lacs : Le naufrage du Zaïre" ;
"Rwanda et Congo-Zaïre : Déstabilisation régionale."
6. Sources complémentaires francophones
Global Witness (version française).
Rapports sur la présence militaire rwandaise en RDC dans les années 1990 et 2000.
La Voix des Sans-Voix (VSV), ONG congolaise.
Rapports sur les violations commises contre les réfugiés hutu en RDC (1996–1998).
Syndicat National des Travailleurs Humanitaires (France).
Analyses sur les défaillances du système humanitaire dans la région des Grands Lacs.
Préparé par :
Sam Nkumi, Chris Thomson & Gilberte Bienvenue
African Rights Alliance, London, UK
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